466 REVUE DES DEUX MONDES. ment) il y a quelques années. Elle vient de passer, avec musique de M. Mariotte, à l'Opéra. Paroles et musique, elle excède par sa longueur, par son poids, elle accable et, souvent exaspérée, elle exaspère. Jamais à l'Opéra ce qu'en langage administratif on appelle « le cahier.des charges » ne parut plus lourd. Il est vrai que par la violence, la frénésie, on peut trouver que cette musique ne s'accorde pas mal avec ce drame. En de nombreux passages, elle est fort congrûment horrible ; en d'autres, elle traîne désespérément. N'allons pas plus avant. Rien n'est plus vain que d'insister sur des oeuvres vaines, ou contre elles. Rappelons-nous plutôt les cônseils et les reproches que s'adressa jadis à lui-même un de nos plus éminents confrères en critique musicale : « Vois-tu, Johannès, tu me sembles quelquefois très dur dans ton emportement contre toute musique sans génie. Est-il donc une musique absolument sans génie ? Et, en retournant la question, est-il donc une musique absolument accomplie, sinon chez les anges ?... Et puis, cher Johannès, le simple désir de faire de la musique, n'est-il pas déjà quelque chose de vraiment touchant, et qui réjouit ? (1) » Ainsi l'indulgence d'Hoffmannfinissait par s'étendre à toute musique. « Les musiciens, disait-il pour conclure, les musiciens ont raison. » Mais nous avons aujourd'hui quelques musiciens qu'Hoffmannn'a pas connus. L'interprétation d'Esther est supérieure à la musique d'Esther. L'éloge de M. Franz (Mardochée) n'est plus à faire, par où nous n'entendons pas qu'il ne faut plus louer M. Franz, sa voix, son chant et sa diction. Tout au contraire. « Ténor de force » autrefois, M. Franz l'est maintenant aussi de douceur, qualité peut-être plus rare. M. Rouard est un-artiste autant qu'un chanteur excellent. Puisse le terrible rôle d'Esther épargner la voix, — qui ne s'y épargne point, — de Mme Yvonne Gall ! Reconnaissons, comme le fit l'auteur le premier dans une gazette musicale, que « tout le monde a donné les preuves d'un dévouement complet. Songez que choristes et acteurs doivent à chaque instant,. à la mode orientale, se jeter pour ainsi dire à plat ventre devant le Grand Roi ». Il n'y a pas de « pour ainsi dire », c'est exactement ce qu'ils ont fait. « Ils n'ont pas hésité à salir leurs vêtements et leurs mains. Ce n'est pas tout. Ils ont dû se livrer à de véritables acrobaties vocales. Songez, — songez encore, que Mile Denya, étendue de tout son long, doit lancer un la bémol. » Nou9 (1) Hoffmann, Kreisleriana, traduction de M. Henri de Curzon ; chez Hachette. |