REVUE DES DEUX MONDES. d'argent doré dont les échecs étaient d'ivoire. La Chanson de Roland a dit qu' « aux échecs jouent les plus sages et même les vieux ». Charlemagne aimait apparemment ce jeu. Le calife a voulu flatter son goùt. De l'échiquier offert à l'empereur Charles par le calife Haroun-al-Raschid il reste une pièce qui est un chef-d'oeuvre de la sculpture indienne en ivoire, et que la Bibliothèque nationale expose dans une des plus belles vitrines de son exposition. Quel est le ciseleur du Pendjab, du Bengale ou du Guzarate qui, clans un atelier de Delhi, de Surate ou de Bénarès, a fait d'une matière délicate et fragile cette merveille de réalisme et de fantaisie ? On ne le saura jamais sans doute. Mais on saura toujours que cet artiste inconnu a vu passer, en quelque procession, sur la voie sacrée d'une pagode bouddhique, un magnifique rajah, sous un baldaquin, sur un éléphant. Le peuple était joyeux, parce que le prince était puissant. Richement caparaçonné de taffetas, de brocart et de cachemire, l'éléphant s'avançait, de cette allure majestueuse, dont la lenteur, chez ces animaux gigantesques et débonnaires, n'exclut pas une douce gaieté. Pour amuser le public, un acrobate, soulevé par la trompe, fait une cabriole, la tête en bas, sur les défenses et met ses pieds à la hauteur des oreilles de l'excellente bête, tandis que le rajah contemple avec une satisfaction silencieuse son peuple ébahi. On admire qu'un ciseau, guidé par la vision d'un artiste capable de fixer avec un art infiniment soigneux les plus menus détails, ait pu réduire` ainsi l'histoire de l'Inde aux proportions d'un précieux bibelot d'ivoire, qui, après avoir fait la joie de Charlemagne et de sa cour, ne manquera pas d'attirer la curiosité intelligente des Parisiens d'aujourd'hui. Le meilleur commentaire explicatif de l'histoire des peuples de l'Orient se trouve, à côté du cabinet des médailles et des antiques, non loin du cabinet des estampes, dans les livres français que les bibliothécaires du département des imprimés ont ouverts aux bons endroits, pour renseigner à temps les visiteurs de l'Exposition orientale. Les Hindous lettrés qui rédigent à Bombay la Voix de l'Inde (the Voice of India), gazette moderne, nous diraient volontiers que, si nous voulons bien les connaître, il est bon de lire le livre qu'un des plus ingénieux amis de Boileau, de Saint-Evremond, de Chapelle, de Mme de la Sablière et de Mhle de Lenclos, François Bernier, docteur de la faculté de médecine de Montpellier, le plus Pari- |