446 REVUE DES DEUX MONDES. là-bas au moment où s'annonçait, par des symptômes qu'il a soigneusement notés, la catastrophe qui devait séparer, par une rupture tragique, deux époques de l'évolution humaine. Il a vu Constantinople, déjà menacée dans ses alentours et jusque dans sa banlieue, vingt ans avant la journée fatale où la cité de Constantin le Grand, la seconde Rome, la métropole chrétienne de l'Empire romain d'Orient, après avoir gardé pendant onze siècles les frontières orientales de la civilisation grecque et romaine, allait succomber sous les coups du sultan Mahomet II. Placé ainsi, pour ainsi dire, au point d'intersection de l'Europe et de l'Asie, au confluent des races, dans la mêlée des peuples, l'envoyé du duc de Bourgogne, témoin des suprêmes efforts que faisait la dynastie des Paléologues pour prolonger l'agonie de l'Empire, a pu prévoir l'instant où les minarets de Sainte-Sophie, dressés par ordre du conquérant, comme un permanent symbole de l'humiliation des vaincus,"ont arboré le croissant de l'Islam au-dessus des coupoles de la basilique de Justinien. Publié en 1892, avec une introduction et des notes fort précises, par M. Charles Schefer, administrateur de l'École des langues orientales, l'ouvrage de Bertrandon de la Broquière appartient aux lettres françaises par des qualités narratives, par un relief pittoresque et par une saveur d'expression qui n'ont point échappé au savant éditeur de ce voyage d'outre-mer. Le conflit plusieurs fois millénaire de l'Europe et de l'Asie apparaît également, mais à une époque beaucoup plus reculée au fond du passé, dans un camée du cabinet des médailles et des antiques, qui représente le combat de l'empereur Valérien et de Schahpour, roi persan de la dynastie des Sassanides. A l'époque de cette dynastie asiatique appartient une coupe en cristal de roche, dont l'histoire est fort curieuse. Cette coupe fut conservée, durant plusieurs siècles, dans le trésor de l'abbaye royale de Saint-Denis. Tous les pèlerins qui ont visité cette célèbu abbaye, au moyen âge, connaissaient cette coupe sous le nom de « tasse du roi Salomon ». Au temps de la Révolution, les richesses artistiques de Saint-Denis furent transportées au cabinet des médailles, que depuis ce temps elles n'ont point quitté. Là, un orientaliste fort diligent, M. de Longpérier, auteur d'un Essai SU ?'les médailles des rois Sassanides de Perse, regardant, un jour, la prétendue « tasse de Salomon », examina très |