416 REVUE DES DEUX MONDES. conservatrice du pays, perdre au moins momentanément toute influence sur elle, et émigrer véritablement à l'intérieur pendant les dix-huit années de l'Empire. Nous n'avons donc rien gagné à flatter ainsi le sentiment populaire, et pour l'honneur du parti monarchique, il aurait mieux valu lui avoir tenu tête. L'autre considération qui nous déterminait était meilleure. Il fallait choisir entre Bonaparte et Cavaignac. Or, quelques semaines d'épreuve avaient suffi pour nous convaincre que ce dernier était républicain dans la moelle des os, et républicain de la plus stricte et plus étroite observance, républicain comme la majorité de l'Assemblée constituante qui l'avait porté au pouvoir, et à laquelle d'ailleurs il s'était fait scrupule de faire une violence ou même une résistance quelconque. L'élection de Cavaignac, c'était donc le renouvellement du mandat de la Constituante, qui, après avoir fait de sa constitution un chef-d'oeuvre de déraison, se proposait de réformer toutes les institutions administratives, financières et ecclésiastiques de France sur ce modèle. Déjà ses commissions avaient préparé, sous le nom de lois organiques, autant d'instruments de démolition. Que seraient devenues entre ses mains toutes les institutions si heureusement établies par le Premier Consul au lendemain du 18 brumaire : le Concordat, la Banque, le système des impôts, l'Université, tout ce qui constitue en un mot l'organisation sociale de la France ? Elle nous aurait ramenés en peu de temps à l'état d'anarchie et de désorganisation dans lequel le pays était plongé sous le Directoire. La seule manière de l'arrêter dans cette oeuvre de destruction, c'était de lui signifier nettement son congé par une élection qui fût l'opposé de ses tendances et de ses desseins. Élire Bonaparte était le seul moyen de dissoudre l'Assemblée, et, à l'épreuve, ce moyen s'est en effet trouvé efficace. L'Assemblée, frappée au coeur, a dû se retirer et laisser intact l'édifice administratif de la France qui dure encore et nous a fait passer sans trop de dommages l'épreuve de deux révolutions et d'une année de désastres. C'est ce qui me fait dire que, même à l'heure qu'il est, je ne puis pas affirmer que ceux qui ont voté pour Bonaparte ne puissent plaider devant la postérité et devant l'histoire des circonstances atténuantes. Dirai-je maintenamt qu'il n'y avait dans nos sentiments aucun mélange du plaisir de la vengeance et de la satisfaction |