408 REVUE DES DEUX MONDES. allions être envahis et j'engageai vivement mon père à venir avec nous au-devant des arrivants. S'ils passent la grille, lui dis-je, ils sont chez nous. Ils se précipiteront probablement vers le logement de M. Louvel pour lui faire un mauvais parti ; peut-être mettront-ils sa demeure au pillage et, une fois qu'ils auront commencé, tout y passera. Mon père trouva l'idée juste, et nous descendîmes rapidement l'avenue qui mène au bourg, escortés de M. Doudan et de mon beau-frère Henry de Béarn, qui était venu la veille savoir où nous en étions. Comme nous descendions, et avant que la grille d'entrée fùt franchie, nous rencontràmes un messager qui accourait en toute hàte ; il nous dit avoir été envoyé de Paris par une excellente amie que nous y avions laissée ; il apportait un billet en trois lignes, ainsi conçu : L'Assemble"e est délivrée, elle a repris ses séances et l'ordre est rétabli. C'est par ces mots énigmatiques que nous apprenions le grand événement de la veille, la journée du 15 mai, si fameuse en son temps, et qui, en effet, à eu une si grande influence sur la suite des événements, l'Assemblée chassée du Palais Bourbon par une bande d'émeutiers, la ville tout entière au pouvoir pendant quelqu3s heures de cette troupe farouche et insensée, puis le retour agressif de deux légions de la garde nationale, s'emparant à son tour de la salle des séances, et rétablissant le Gouvernement de M. de Lamartine aussi vite qu'il avait été dissous. Notre amie avait craint que la poste ne nous apprit que la première partie de cette terrible journée, et avait voulu nous épargner les angoisses par lesquelles elle venait de passer elle-même. Nous n'avions pas de temps à perdre à déchiffrer ce mystère. Mais, devinant qu'il ne contenait rien que de rassurant, nous allàmes hardiment au-devant de la foule. Elle était amassée devant la grille, venant de traverser le bourg dont les habitants terrifiés avaient bravement fermé leurs portes, leurs fenêtres et même leurs volets. Un vieux médecin seulement et un petit employé l'avaient suivie pour s'informer de notre destinée, et vinrent se ranger en tremblant derrière nous. L'apparition de mon père, à laquelle les émeutiers ne s'attendaient pas, fit sur eux une impression très visible. Son nom était très considéré dans le pays, et comme, vu ses habi- |