398 REVUE DES DEUX MONDES. « L'homme, apparemment, n'est pas un monstre dans la nature l'intelligence, qui le caractérise, doit avoir quelque rapport avec la nature des êtres en général... Il est raisonnable d'admettre dans la nature comme une tendance à l'intelligibilité. » Boutroux emploie, ailleurs, cette forte expression : « Les corps, dans le fond, nous ressemblent déjà. » Ce qui menait l'auteur des leçons de 1892-1893, à ces conclusions dernières : « Il n'y a pas de matière brute, et ce qui fait l'être de la matière est en communication avec ce qui fait l'être de l'esprit. » LA PHILOSOPHIE DE LA GUERRE Nous n'avons plus à parler que du philosophe de la guerre, qui ajouta encore à la gloire et à l'action du grand philosophe que fut Boutroux. Il fut un « penseur militant », comme il a été dit. Il fut môme des premiers, sinon le premier, à créer cette arme nouvelle de la pensée que les événements démontrèrent de plus en plus nécessaire. Son retentissant article de la Revue est d'octobre 1.914, (1). On s'est étonné de le voir, tout d'un coup, si ardent dans sa lutte contre la pensée allemande qui, longtemps, avait été pour lui nourricière. Justement, il parlait de ce qu'il connaissait mieux que personne. Mais ce qu'il faut surtout dire, c'est que, s'il avait étudié en Allemagne, rien ne le liait à elle. Il avait même de bonne heure, et sans doute, nous l'avons vu, pendant qu'il était encore à Heidelberg, à une date où les théories allemandes n'avaient pas déroulé toutes leurs conséquences, libéré sa propre pensée. Et ses relations intellectuelles avec les Anglo-Saxons, et James en particulier, si elles sont trop tardives pour avoir rien déterminé d'essentiel dans sa doctrine, avaient du moins, par l'attrait exercé dans un autre sens, achevé ce travail de libération. Le rôle que s'assigna Boutroux était conforme, enfin, à sa conception des devoirs d'un philosophe. Jamais il n'habita une tour d'ivoire. Il se trouve, par surcroît, qu'il n'a qu'à être fidèle à ce qu'il a déjà exprimé et que nous avons déjà noté. Sa propre philosophie est dans la bataille. Au coeur de l'Allemagne, en 1914, il avait, reprenant un thème familier, opposé les idées dominantes des pensées allemande et fran- (1) L'Allemagne et la Guerre, Revue du 15 octobre 19(4. |