396 REVUE DES DEUX MONDES. cabinet de travail, une library, où les tables et les livres sont flanqués de canapés, banquettes, fauteuils à bascule, où les visiteurs se pressent à toutes les heures du jour, « en sorte que c'est au milieu de joyeuses conversations, parmi les dames occupées à prendre le thé, que médite et écrit ce profond penseur ». Et cela déconcerte et séduit tout à la fois le philosophe français, habitué à plus de méthode, et à un autre mode de méditation. James, avec un tempérament différent, n'en a pas moins accompli, en Amérique, une oeuvre analogue à celle de Boutroux. Son originalité est d'être arrivé à la psychologie par la physiologie. L'âme humaine, enlevée à la conscience, selon le langage même de Boutroux, devenait une chose de laboratoire. William James, médecin, l'a étudiée dans le laboratoire. « Et il a trouvé que ce qu'on étudiait là n'était pas l'âme, mais le milieu physiologique où se déploie son action. C'était la maison, non l'habitant. » Tout en demeurant fidèle à la psychologie objective, dans les questions qui sont de sa compétence, il a restauré la psychologie proprement dite. C'est de même par l'expérience qu'il arrive à la religion. Mais il faut entendre, nous avertit Boutroux, le mot d'expérience au sens anglais du verbe to experience, qui veut dire non constater froidement, mais éprouver, sentir en soi, vivre soi-même telle ou telle manière d'être. Et, par là, celui qui avait réintégré l'âme dans la psyhologie, réintégra l'homme dans la philosophie, l'homme tout entier, au sens de Boutroux. Dans ces écrits de la fin de sa vie, la philosophie propre de Boutroux se dégage, de plus en plus, de toute la dialectique qui, dans la Contingence, l'enserrait en l'étayant. Elle se plait, en quelque sorte, à se présenter toujours la même sous différents aspects, et dominant de plus en plus haut les problèmes. Nous avons à nous demander si, sur quelques points, elle aurait évolué. Une seule doctrine, sans rien changer à l'ensemble du système, semble s'être affirmée et précisée graduellement, et on peut en suivre le progrès, celle de la raison. La raison, que.Boutroux appelle aussi esprit et, pour se rattacher à la tradition cartésienne, bon sens, déborde l'entendement logique ; c'est ce qu'il faut commencer par admettre pour entrer dans la pensée de Boutroux. Elle déborde même l'intelligence proprement dite. Quand vous dites à un enfant : « sois raisonnable », vous demandez déjà à la raison enfantine de juger |