246 REVUE DES DEUX MONDES. nuit, et elle regarda son frère comme si elle allait l'assommer avec le lourd volume aux ferrures ciselées. Valmont Dupouy éclata de rire. - Venez, ma mère 1 dit le général. Il entraîna Mme Lapeyrade. Ils étaient déjà dans l'escalier, qu'ils entendaient encore le rire démoniaque de l'oncle. VII Assurément, l'oncle est fou. La berline, au chant léger des grelots, traversait la campagne obscure où des feux lointains s'allumaient. - Il y a de ces originaux dans toutes les familles, comme du lichen sur les poiriers, dit Mme Lapeyrade dont la colère s'apaisait, bercée par les tendres paroles d'Alexandre et le roulement de la voiture. — Oui, des parasites ! Mais si l'arbre pouvait les rejeter au lieu de les nourrir de sa substance, que deviendraient-ils ? Eh bien ! ils mourraient ! — Serait-ce un malheur ? — Ah ! que non point ! - Et pourquoi n'essaieraient-ils pas de vivre par euxmêmes ? — Travailler ? - Certes... - Ils ne sont bons à rien. Valmont, avec sa grande intelligence, n'a voulu être ni officier, ni magistrat, ni fonctionnaire, et il n'a pas su garder sa fortune. - Dans le Nord, pays d'industrie, les bourgeois pauvres qui ne peuvent être ni officiers, ni magistrats, ni fonctionnaires, prennent des métiers. Mme Lapeyrade parut scandalisée. - Chez nous, cela ne se fait point. Vous ne voyez pas un Dupouy marchand de drap ou un Lapeyrade quincaillierl... - Je le verrais fort bien ailleurs qu'à Montalbe et dans un autre temps... au vingtième siècle 1 dit le général en riant. 11 tâchait d'oublier le poignant souci que la dernière boutade de l'oncle avait planté, comme un clou, dans son esprit. - Les moeurs changent avec les lois, mais plus lentement. Le Code Napoléon a commencé de transformer la famille par |