388 REVUE DES DEUX MONDES. LA RENCONTRE AVEC PASCAL Mais nous avons hâte d'arriver à la rencontre et au long entretien de Boutroux avec Pascal. [l enseigne alors, à la Sorbonne, et avec un grand succès. Un de ses maîtres de l'École normale l'avait noté, quelque vingt ans auparavant, « médiocre parleur ». Il ne parlait pas, en effet, si l'on entend par là habiller plus ou moins somptueusement la pensée. Sa parole adhérait tellement à'sa pensée à lui qu'il semblait qu'il présentât celle-ci toute nue. Il n'avait point de notes, ne faisait point de gestes, si ce n'est, de temps en temps, un mouvement de la main pour relever des cheveux qui tombaient sur son front. El portait la redingote boutonnée et cela lui donnait, a-t-on remarqué, un air militaire ; mais cet air était en même temps très doux. La voix n'était pas forte, mais extrêmement limpide. L'effort ne se faisait jamais trop sentir, mais assez pour déterminer un surcroît d'intérêt. Et les pensées les plus hautes, avec la dialectique la plus serrée, passaient ainsi, presque sans intermédiaire matériel, de son esprit dans celui de ses auditeurs. « En l'écoutant, écrit un des plus assidus, il me semblait parfois, comme à bien d'autres, m'arracher au monde des sens et sous l'inspiration, sous l'évocation du professeur, participer au règne des idées pures. » Il consacra deux ans de cet enseignement à Pascal. 11 semblait qu'il ne pouvait se détacher de son sujet. Ce fut l'apogée de son succès comme professeur. Le grand public, que les cours antérieurs n'avaient pas effrayé, venait plus nombreux, à la fois pour Boutroux et pour Pascal. Jamais harmonie mieux préétablie entre un sujet et celui qui le traitait. C'était mieux qu'un cours, jamais un sermon cependant, mais une retraite à Port-Royal, sous la direction du meilleur des guides. La voix de Pascal se faisait entendre, avec moins de fougue peut-être, à travers la phrase grave sans apprêt, belle sans ornement, de son disciple. D'où le caractère rare de ce spectacle. On en sortait non seulement instruit, mais vraiment meilleur. Et l'effort sincère du maître, pour comprendre et faire comprendre, produisait, à lui seul, tout cet effet. Un petit livre de la Collection des grands écrivains français résume ces deux années de cours. Mais il faut presque avoir suivi le cours pour comprendre tout ce que le livre enferme de |