368 REVUE DES DEUX MONDES. presque pitié d'elle. Après un long silence, elle m'a répondu - Oui, Alina. Si vous voulez le savoir, je vous soupçonne. J'ai continué de railler. - Peut-être, après tout ! - C'est méchant, en tous les cas. Je suis une mendiante maintenant. Est-ce que j'ai l'habitude d'être pauvre ? - Et ce que vous m'avez fait à moi ? ai-je dit brusquement. — Je ne vous comprends pas. - Qui donc a permis au camarade Kiriline de s'introduire dans ma chambre ? - Il vous l'a dit ! - Oui. - Il vous l'a dit ! Ah ! je comprends. Alors, c'est vous ! c'est vous ! Furieuse, ses cheveux gris épars, ses yeux rougis de pleurs, elle a couru à la Tchéka demander mon arrestation. Tout cela n'a servi de rien : des soldats sont venus qui ont fouillé tout le jardin sans résultat. J'ai été interrogée par Timochka qui m'a conseillé aimablement de quitter la maison de Daria Ivanovna. C'était d'ailleurs bien mon intention. Il m'a déclaré après un court interrogatoire : - Vous êtes libre, citoyenne. Vous pouvez vous en aller. Daria Ivanovna est folle, elle est affolée plutôt et vous accuse à tort. Mais il ne m'a pas donné l'autorisation de quitter la ville avant que soit terminée l'enquête sur la disparition des bijoux « appartenant au peuple russe ». *** J'ai été faire la queue ce matin au commissariat aux vêtements. Devant la maison du commissaire, un gamin chétif montait la garde. Il lançait des regards méprisants à la foule des va-nu-pieds qui se pressait à la porte. C'étaient pour la plupart des professeurs, des docteurs, des employés de chemin de fer et quelques ouvriers. Le gamin les traitait comme des mendiants, il les bousculait, il tutoyait tout le monde ; il cria : - Attendez ! Vous pouvez bien attendre, le commissaire est en conférence avec des camarades. Mais un pauvre diable impatient voulut ouvrir la porte. Nous aperçûmes le commissaire avec une jeune fille : il prenait le thé. |