364 REVUE DES DEUX MONDES. Le fiancé se redressa orgueilleusement et expliqua d'un air satisfait : - Chaque communiste doit savoir exprimer sa pensée clairement, ainsi que les idées du parti. D'ailleurs, on n'admet dans le parti que les hommes conscients. Il voulait m'éblouir avec de grands mots et des termes de sociologue. La mère eut un soupir. - Sont-ils gentils tous les deux ! Ils s'aiment. Il est communiste, mais c'est un bon gars : il n'est pas aussi farouche qu'il le paraît. Seulement, voyez, ils ne peuvent pas se marier, ils n'ont pas d'argent. - Mais si, maman, on se mariera, et Dacha aussi. Bientôt arriva le fiancé de Dacha, téléphoniste au service des Soviets : la conversation devint générale ; on discuta des condamnations à mort, des moeurs actuelles, de la vie en général, de l'avenir et du temps, où, le bonheur régnant sur terre, on n'aurait plus ni travaux ni soucis. ** Kiriline est revenu. Je ne sais pas de quoi il parle avec Daria Ivanovna ; mais ils sont tout le temps ensemble. Elle a l'air inquiet et elle me regarde souvent avec une expression sournoise que je ne lui connaissais pas. Je crois que Kiriline est en train de la convaincre qu'il faut me persuader de l'épouser. Naturellement, elle n'ose pas m'en parler ; mais hier, j'ai surpris Kiriline qui lui parlait sur un ton menaçant ; il s'est tu, dès qu'il m'a vue. ** La chambre de Kiriline est contiguë à celle de Daria Ivanovna. Pour venir dans la salle à manger où je couche, il faut passer par la chambre de Daria ou par la véranda. Ce soir, Daria Ivanovna est allée chez 11I me Popoff, une malade qui ne quitte pas son lit depuis des mois. Le secrétaire du colonel est absent, Kiriline lui-même n'est pas là... J'étais contente de cette solitude. J'ai voulu écrire, je n'ai plus d'inspiration, je me suis couchée toute habillée et je me suis endormie. Tout à coup, un bruit de pas m'a réveillée. Kiriline était devant moi. La porte de la véranda était fermée à clef, j'avais baissé les volets moi-même... Comment a-t-il pu |