352 REVUE DES DEUX MONDES. Il est communiste ? — Bien entendu. Et vous, Dacha ? Moi, est-ce que je sais ? Ah ! si on m'avait donné les richesses qu'on a prises aux bourgeois, oui, je serais communiste. Mais on ne m'a rien donné. Je travaillais hier, je travaille aujourd'hui ; pauvre j'étais, pauvre je suis ; alors ? — Vous voudriez être riche ? Je crois bien. — Qu'est-ce que vous feriez, si vous étiez riche ? — Je ne travaillerais plus, je prendrais une bonne, j'aurais plusieurs chambres meublées, j'achèterais des petits souliers, des robes et une montre en or. Trouvez-vous que ce soit une vie de toujours nettoyer les saletés des riches ? - Vous n'aimez pas le travail ? - Vous en connaissez qui l'aiment ? Bien sûr, j'aimerais mieux ne pas travailler ! C'est meilleur de faire travailler les autres, d'être maîtresse ! A la bonne heure, celle-là au moins n'est pas hypocrite comme tant d'autres « rouges ». *** Le colonel qui habite chez Daria Ivanovna m'a dit hier : - Nous sommes victorieux sur tous les fronts, parce que nous n'avons pas peur de faire des victimes. Nous n'épargnons personne ; par la terreur nous arriverons à nos buts. - Et quels sont vos buts ? - Le communisme mondial. - El après ? Il me regarda en manifestant un grand étonnement. - Et après ? Mais c'est tout. L'idéal suprême sera réalisé. J'ai toujours entendu dire cela par notre chef Lénine à Moscou. Je secoue la tête : - Vous êtes bien borné. Vous croyez que l'humanité peut s'arrêter ainsi, que l'existence peut prendre une forme définitive. Un idéal accompli, on en créera d'autres. Si le communisme est un idéal, moi j'imagine... Mais je n'ai pas le temps d'achever ma pensée, car il m'interrompt : Vous savez que près de Tzaritzine l'armée rouge a occupé |