REVUE DES DEUX MONDES. chancelle, ses faibles genoux fléchissent sur le gazon qui la reçoit. Transporté de douleur et d'amour, Cymédore veut soutenir son épouse ; mais, ô prodige, il n'embrasse qu'un arbuste qui blesse ses mains abusées. Cependant ce nouvel arbuste, né du repentir de Diane et des pleurs de l'Amour, se couvre de roses, fleur jusqu'alors inconnue. Rosélia sous cette forme nouvelle, conserve ses grâces, sa fraîcheur, et jusqu'au doux parfum de son haleine. L'amour et la pudeur rougissent encore son front, et les épines que Diane fait croître autour (le sa tige protègent son sein embaumé. Cette belle fleur sera d'âge en âge également chère à la vierge craintive et à la jeune épouse. Voilà certes une gracieuse idée de poète, mise en oeuvre avec beaucoup d'art et de goût. Soutenue par son frère, conseillée par Joubert, Lucile aurait pu aller très loin. Et, encore une fois, qui sait si pour elle ce n'eût pas été le salut ? ** Mais elle était de ces êtres sur lesquels la destinée semble s'acharner et frapper à coups redoublés. Il était réservé à Lucile de connaître une de ces déceptions intimes qui, pour une sensibilité comme la sienne, ont vraiment quelque chose de tragique. De cette « fatalité » suprême, Chateaubriand parle avec discrétion : « M. de Chênedollé, nous dit-il, habitant auprès de Vire, était allé voir Lucile à Fougères ; bientôt il fut question d'un mariage qui manqua. » Par Sainte-Beuve et surtout par Mme Paul de Samte, nous allons en apprendre davantage. Dans le salon de Mme de Beaumont, rue Neuve du Luxembourg, Chateaubriand avait fait la connaissance d'un poète, à peu près son contemporain, il était d'un an plus jeune que lui, et qui comme lui rentrait de l'émigration. Charles-Julien Lioult de Chênedollé était de Vire ; il avait émigré à la fin de 1791 ; il avait vécu en Belgique, en Hollande, surtout à Hambourg, où il s'éprit de Rivarol ; en Suisse, où il vit Mme de Staël, qui goûtait ses vers « hauts comme les cèdres du Liban », disait-elle avec un peu d'exagération, et qui, en 1802, obtint de Fouché sa radiation. Il avait un goût singulier pour la poésie didactique, mais son imagination rêveuse et mélancolique lui inspirait parfois des accents d'un tout autre ton : il forme la transition entre Delille et Lamartine. C'était une âme essentiellement seconde, et comme il s'était attaché à Rivarol et à Ma" de |