JV REVUE DES DEUX MONDES. Le dimanche, on se rendait à la paroisse, et l'on frayait av3c les bourgeois du village et avec les gentilshommes des environs. Mais, l'hiver, des mois entiers se passaient sans qu'une créature humaine frappât à la porte du château. Et il fallait attendre le retour des beaux jours pour qu'aux fêtes des poissonniers, de la quintaine et de l'angevine, « on vit à Combourg quelque chose qui ressemblât à de la joie ». On conçoit que Mm e de Chateaubriand, qui avait l'âme peu romantique, ne se soit pas accommodée de celte existence moyen-âgeuse ; et il est à croire qu'elle eût pleinement souscrit à ces lignes sévères d'Arthur Young, qui visita la région quelques années plus tard : « Le pays a un aspect sauvage ; la culture n'est pas beaucoup plus avancée que chez les Hurons, ce qui paraît incroyable, étant donné la fertilité du sol. Les gens sont presque aussi sauvages que leur pays, et leur ville de Combourg est une des plus ignoblement sales que l'on puisse voir. Des murs de boue, pas de carreaux, et un si mauvais pavé que c'est plutôt un obstacle aux passants qu'un secours. Il y a cependant un château, et qui est habité. Quel est donc ce M. de Chateaubriand, le propriétaire, dont les nerfs s'arrangent d'un séjour au milieu de tant de misères et de saletés ? Au-dessous de ce hideux tas d'ordures se trouve un beau lac, entouré de haies bien boisées. » Les nerfs de Lucile s'arrangeaient tant bien que mal de cette existence cénobitique. Dis rêveries, d'abondantes lectures (1), des exercices de piété, voilà sans doute ce qui remplissait sa vie. Les meilleurs moments devaient être ceux où Francillon, comme l'appelaient ses camarades de collège, venait passer s ? s vacances à Combourg. Les deux enfants se retrouvaient toujours avec le même plaisir : ils avaient mêmes goûts, même sensibilité ardente et douloureuse, et dans leurs longues promenades à travers bois ou au bord de l'étang rêveur, ils n'avaient pas besoin d'échanger des paroles pour se sentir à l'unisson. A dix-huit ans, Lucite était restée toute seule au foyer paternel : ses trois soeurs s'étaient successivement mariées et vivaient aux environs de Fougères : la présence, à son gré trop rare, d'un (1) Nous savons, par le manuscrit de 1826, qu'elle lisait Clarisse. Et le biographe de sa soeur Julie nous apprend que cette dernière avait une « lecture prodigieuse que « c'était en elle une véritable passion ». Julie versifiait aussi ; et l'on cite d'elle une traduction en vers tlu septième chant de la Jérusalem délivrée, quelques épîtres, et deux actes d'une comédie de moeurs. |