20 REVUE DES DEUX MONDES. un congé de quelques mois, le Duc me fit l'honneur de me nommer son aide de camp. Je demeurai donc à Paris et je fus reçu chez Madame Adélaïde. Là, je connus Mlle de Clairmou= tiers. Une amitié pure, qui devint une amitié tendre, nous rapprocha. Cette amitié, avec le temps, devint plus tendre encore... Voilà, maman, vous savez tout. Mme Lapeyrade était redevenue calme. - Je comprends... oui, je comprends... mais laissez-moi réfléchir... Je suis si troublée... — Je croyais que vous seriez heureuse de mon bonheur, dit amèrement le général. - Mais enfin, reprit Mme Lapeyrade, comment vivrez-vous ? Tout à l'heure, vous déploriez votre pauvreté. - A quoi bon parler ? Vous n'êtes pas mon alliée... Alors, je ne puis rien... - Alex, dit la mère plus doucement, je me suis emportée à tort, je l'avoue. Pardieu I mon fi, je le sais, que vous n'êtes pas riche, et j'avais rêvé de vous voir marié avec une fille de bonne bourgeoisie, qui eût été riche pour deux et qui se fût trouvée très honorée d'être votre épouse. Je suis méfiante, c'est une disposition qui vient ou qui s'accroît avec l'âge !... Mais, pouvez-vous dire, mon fi, que je ne suis pas votre alliée quand il s'agit de votre bonheur ? Alors, maman, vous m'aiderez ? - Comment ? - C'est très simple. Madame Adélaïde est favorable au mariage, sous condition ; il faut que j'apporte, par contrat, une terre dont je prendrai le nom, et qui sera le futur majorat. Cette terre, je ne puis l'acquérir, mais je peux la tenir de vous... Maman, donnez-moi la Chaubille. - La... - Donnez-moi la Chaubille que vous aimez tant, la Chaubille qui, après vous, serait forcément partagée, perdue pour la famille, et qui va devenir, au contraire, le bien patrimonial, héréditaire, inaliénable, de nos descendants. Elle sera, non l'aboutissement, mais le point de départ de notre fortune. Une fois marié, je quitte l'armée, je m'occupe de politique et d'affaires... Dans dix ans, je serai riche... - Et moi je serai morte. |