218 REVUE DES DEUX MONDES. en éveil, à un tel point que, pour rien au monde, il n'aurait voulu sacrifier à la composition rapide de son livre le plaisir et l'honnêteté de sa besogne. Il mérite la louange. On ne voit guère, à notre époque, mener à bien, si patiemment, si allègrement, ces grandes entreprises dont l'auteur de Port-Royal a donné le modèle. La plupart des critiques ou historiens de la littérature ont plus de hâte ; et c'est dommage. Nous aurons, un jour, le Renan de Lasserre. En attendant, il vient de publier les deux premiers tomes d'une Jeunesse d'Ernest Renan, dont il annonce comme prochain le tome troisième. « J'ai préféré, dit-il, provisoirement au moins, me restreindre en étendue, afin de m'engager aussi avant qu'il pourrait me plaire, et avec tous les loisirs d'une utile méditation, dans les matières d'un sujet, déjà riche et profond, à ce qu'il me semble. » Car il va mener cette jeunesse de Renan jusqu'à 1848, que Renan écrivait l'Avenir de la science, à vingtcinq ans. Cette période contient la crise de pensée au bout de laquelle Renan quitte l'Église catholique. Elle pose donc la question du rapport et du conflit qu'ont à soutenir le dogme chrétien et la philosophie moderne. Et il s'agit de Renan, mais encore de ce conflit. C'est l'histoire de Renan ; et c'est aussi de savoir si le christianisme est ou n'est pas en péril, quelles menaces d'idées il affronte, quelle force de résistance il possède. Les trois tomes seront dignes de leur sous-titre, et qui serait leur titre aussi bien que la Jeunesse d'Ernest Renan : « Histoire de la crise religieuse du'axe siècle ». M. Lasserre a senti ces deux impossibilités : de raconter le me siècle sans Renan, de raconter Renan indépendamment du siècle où il a vécu. M. Lasserre a donc pris son parti de les raconter ensemble tous les deux. Et, comme les problèmes qui ont troublé le me siècle et Renan n'étaient pas tout neufs, mais avaient leurs commencements et leurs déploiements très amples dès le moyen âge et dès l'antiquité grecque ou alexandrine, c'est tout un immense passé de querelle que ressuscite la Jeunesse d'Ernest Renan. Les deux premiers tomes n'aboutissent pas à la conclusion ; ils la préparent. Et l'on y découvre la méthode de l'auteur. Sa méthode, et les qualités d'esprit par lesquelles il se recommande. Signalons d'abord la plus remarquable, d'où les autres dérivent, et qui était indispensable ici comme toujours, mais qu'il fallait qui fût ici plus visible et mieux évidente que jamais, sa bonne foi. |