210 REVUE DES DEUX MONDES. que ces produits d'exportation constituaient un enrichissement net pour le fellah qui vit sur sa terre et se nourrit d'elle. S'étonnera-t-on maintenant de la transformation qui se dessine dans la condition du paysan ? La vente du coton l'a tout d'abord enrichi et lui a permis de régler ses dettes. En second lieu, l'élévation des cours a déterminé une plus-value considérable dans la valeur des terrains qui se vendent deux fois plus cher qu'avant la guerre sur la parité de l'or. D'une façon automatique, les fortunes rurales ont doublé. Le morcellement des domaines et la mise en culture de nouvelles zones conquises sur la mer ont encore contribué à fortifier la situation de l'agriculteur. Il a été aidé en cela par les grandes entreprises foncières qui se chargent de mettre le sol vierge en valeur et par les banques hypothécaires, dont le crédit offre au paysan, et même à l'ouvrier agricole qui a mis quelques piastres de côté, le moyen de devenir à son tour propriétaire. La plupart de ces établissements ont été formés avec des capitaux français. Nous avons donc rendu, en l'espèce, à l'Égypte un service dont elle a d'autant plus lieu de nous être reconnaissante que nous sommes intervenus à une époque où l'on pouvait encore douter de son avenir. Les deux événements que nous venons de noter, l'enrichissement du fellah et le morcellement des terres, ont provoqué la formation d'une classe rurale moyenne. Ce fait nouveau est du plus haut intérêt au point de vue des destinées du Delta. C'est dans cette classe aisée que s'implantent peu à peu les goûts de confort ; c'est elle qui fait bâtir des maisons à la mode européenne, et dans laquelle se recrutent les omdehs, maires des villages. Au cours d'un de nos derniers voyages dans la campagne, il fallait voir avec quelle fierté l'un de ces omdehs enrichis nous montrait à un tournant du Nil dans une fort belle situation la maison blanche à deux étages qu'il venait de faire construire et nous invitait à monter dans sa troumbil pour aller passer quelques jours chez l pli ! I1 affirmait que nous y trouverions tout le nécessaire : de l'eau filtrée, des lits, des armoires à glaces et des lavabos avec l'eau courante dans le harem des femmes de ses fils. Il y a quelques années à peine, ce brave omdeh habitait une esbeh pétrie en limon. Il va falloir compter avec cette classe, issue des cours élevés du coton, et faire appel à sa sagesse pour gouverner l'Égypte. C'est elle évidemment que Ziwer pacha a voulu viser dans sa |