206 REVUE DES DEUX MONDES. par ce buffle aux allures antédiluviennes qu'a popularisé la silhouette du boeuf Apis. Quant aux instruments d'irrigation, ils n'ont'pas davantage subi de modifications. C'est la vis d'Archimède qui, dans un cylindre de bois, élève lentement l'eau des canaux ; le chadouf, que les hommes manient en gradins successifs, à l'aplombdes hautes berges du Nil. C'est enfin la salcieh, notre noria à godets, employée dans tout le midi de la France. La campagne elle-même est restée immuable. On l'accuse de monotonie. En effet, la terre s'étend sans la plus petite dénivellation susceptible de troubler l'économie générale des irrigations. Mais cette terre, si nue dans sa platitude, est éclairée par" une lumière éclatante, et elle est si peuplée d'êtres vivants qu'elle défile devant les yeux du voyageur, ainsi qu'un panorama de caravane interminable. Sur la moindre parcelle de terrain on voit des cultivateurs, des femmes, des enfants. Tout le long des canaux, c'est un défilé incessant de chameaux, d'ânes, et de bêtes de somme. Les canaux eux-mêmes sont égayés par le passage des dahabiehs dont les grandes voiles pointues sillonnent, comme des ailes de mouettes, les horizons bleus. Cette population déjà si dense s'accroît avec un rythme déconcertant. De 9 717 000 âmes en 1897, elle est passée, dix ans après, à 11 281 000, soit un coefficient d'accroissement moyen de 1,51 pour 100. Elle était, en 1917, de 12 751000 habitants ; en 1922, de 13 millions, et l'on estime que l'accroissement continu de cette population l'a portée aujourd'hui à 13 millions et demi. Presque tous les habitants de l'Égypte, à trois millions près, se consacrent à l'agriculture. C'est le vrai « Trésor des Pharaons » (1). Race patiente et laborieuse, le fellah a toujours travaillé pour un maître. Son amour profond de la terre a suffi à lui faire oublier sa condition servile. C'est là sans doute ce qui explique qu'il ne se soit pas produit plus de changement dans son état social. Il a successivement cultivé le blé pour les Pharaons, pour les Perses, pour les Ptolémées, pour les Romains, pour les Arabes, et pour les Mameloucks, sans en retirer de bénéfice bien réel. Mais ce que le blé n'avait pas réussi à obtenir au cours des siècles, la richesse du cultivateur, le coton est en passe de la réaliser. On constate, en effet, depuis quelques années, une amélio- (i) Voyez la Revue du i5 avril 1920. |