181 REVUE DES DEUX MONDES. deux ans après la mort de Lavigerie, le colonel Archinard, si je me suis attiré même l'affection des musulmans en me montrant souvent leur protecteur, je n'ai cependant pas voulu qu'ils puissent faire de la propagande à notre suite dans les pays fétichistes qui avaient toujours su leur résister. Favoriser l'islamisme sous prétexte qu'on n'est pas soi-même un catholique convaincu, c'est trahir les intérêts français. Le catholicisme avec son imposant cérémonial convient mieux encore aux populations noires que l'islamisme. Plus que dans aucune autre de nos colonies, il faut faire au Soudan de la propagande religieuse, parce que c'est de la propagande française, et, quelles que soient nos sympathies, nous n'avons pas le choix de la religion à propager, car l'islamisme nous fait des rivaux et des ennemis, et, en Afrique, le protestantisme fait des sujets anglais. » Le colonel Archinard, tout comme Lavigerie, déplorait l'aspect d'État laïque que la France croit devoir parfois affecter, vis-à-vis des musulmans et vis-à-vis des fétichistes. « Les noirs, comme les musulmans, insistait-il, s'étonnent de ne nous voir jamais faire acte de religion. » Et, tout protestant qu'il fût, le colonel Archinard invitait le commandant Quiquandon à dire à l'un des chefs soudanais que le colonel était catholique, et que pour consolider avec lui les liens d'amitié, il devait prendre cette religion-là. Le général Mangin, qui cite ces très suggestifs documents, ajoute qu'il est naturel que nous respections le sentiment religieux de nos protégés musulmans, mais non pas l'Islam en soi. « La confusion est trop fréquente, dit-il, et elle a pour résultat d'ajouter notre prestige à celui de l'Islam, d'accroître la ferveur de ses adhérents, et d'en augmenter le nombre. Il est des élégances de costume ou de manières qui sont de mauvais ton ; il est également des élégances intellectuelles qui sont déplacées, et l'affectation d'une extrême sympathie pour l'Islam est de celles-là. Le fait d'envoyer des tolbas venant d'Algérie pour enseigner le Coran dans les medersas de l'Afrique occidentale a été une faute, il faut savoir le dire (I). » (1) Général Mangin, Regards sur la France d'Afrique, p.211 et suiv. Cf. René Bazin, dans la Revue du Pr décembre 192i, p.488-492. — M. Maurice Delafosse, Afrique française, supplément, décembre 1922, p.322, explique (l'autre part que l'islamisation des noirs soudanais, accomplie depuis le x v siècle par les conquérants musulmans, fut assez superficielle, et qu'on vit un |