180 REVUE DES DEUX MONDES. coupable, et saluait avec entrain, comme plus vieille et « originairement plus pure et plus parfaite que la nôtre, » comme « fille des vertus primitives », la civilisation orientale. Michelet, du jour où il eut épousé une femme d'origine créole, rêvait d'une Amérique régénérée par le sang noir venu d'Afrique, par cette race de Cham si cruellement calomniée. Le spectacle des ruines cruellement accumulées en Syrie par ces D ruses dont s'éprenait Lamartine, le spectacle des atrocités de l'Afrique noire, témoignaient à Lavigerie tout ce qu'il y avait d'incorrigible utopie dans ces hommages romantiques aux civilisations exotiques : comme observateur non moins que comme prêtre, il estimait urgent, tout d'abord, de leur présenter le Christ avant de s'exalter pour elles. Au début de son épiscopat algérien, il s'occupa surtout de jeter un pont entre le christianisme et l'Islam. Il agit à ciel ouvert, prudemment, mais sans se cacher. Il ne pouvait admettre que le pouvoir civil condamnât à jamais les musulmans à être des gentils ; et c'était au contraire sa mission d'évêque, de les relever d'une telle condamnation. Il constata, après les premières expériences, que des succès locaux étaient possibles, mais sur des terrains bien restreints, et que de petits groupes d'enfants arabes ou berbères, enveloppés d'une atmosphère chrétienne, pouvaient devenir accessibles à la foi du Christ, mais que les âmes des adultes, elles, semblaient généralement murées. Quelles que fussent les difficultés d'approche, s'étonnera-t-on qu'un Lavigerie n'ait jamais adhéré à la formule sommaire, d'après laquelle « on ne convertit point un musulman » ? M. René Bazin, ici même, recueillait naguère certains indices, relevés en Algérie, en Tunisie, dont il concluait que « les musulmans peuvent être rapprochés de nous jusqu'à s'intéresser au principe supérieur de notre civilisation, même jusqu'à devenir chrétiens ». (1) Si l'on insistait en faveur de cette formule : Le musulman est inconvertissable », les missions évangéliques anglo-saxonnes et germaniques, qui tenaient au Caire en 1906, (1) Voyez la Revue du 1" décembre 192k, p.496-503. Comparer dans la Chro. nique sociale de France, avril et mai 1924, les deux articles de M. Pasquier Bronde sur l'influence sociale exercée chez les Kabyles par les écoles, les bureaux d'assistance sociale, m'oeuvre du Foyer Kabyle, et sur les premières conversions individuelles. |