176 REVUE DES DEUX MONDES. liberté aux Frères antérieurement enrôlés. Cet Amen d'assentiment, qui faisait accueil à la plus profonde des déceptions, se confondit presque avec ses premières paroles d'agonie. Il avait encore dix jours à vivre. Sa pensée s'en allait vers le congrès eucharistique qui se préparait à Jérusalem, vers l'idéal d'union des Églises dont ce Congrès voulait s'inspirer. Cela le rajeunissait de trente ans : n'était-ce pas lui qui, en 1861, avait le premier promené, dans une Syrie ravagée, la foi de Rome et la charité de la France ? Il donna mille francs aux organisateurs de ce Congrès : l'Orient chrétien, où son génie apostolique avait autrefois fait ses premières armes, obtenait ainsi la dernière de ses aumônes. C'était le 22 novembre : le 25, celui qui, vingt-quatre ans plus tôt, avait dit : « Je ne veux plus un seul jour de repos », entrait dans le repos de la mort. On ouvrait son testament, daté de 1884., et l'on y lisait : « Je t'avais tout sacrifié, ô chère Afrique, lorsque, poussé par une force intérieure qui était visiblement celle de Dieu, j'ai tout quitté pour me donner à ton service. Depuis, que de traverses, que de peines ! Je ne les rappelle que pour pardonner, et pour exprimer encore une fois mon indicible espérance de voir la portion de ce grand continent qui a connu autrefois la religion chrétienne revenir pleinement à la lumière, et celle qui est restée plongée dans la barbarie, sortir de ses ténèbres et de sa mort. C'est à cette oeuvre que j'avais consacré ma vie. Mais qu'est-ce qu'une vie d'homme pour une semblable entreprise ? A peine ai-je pu ébaucher ce travail. Je n'ai été que la voix du désert appelant ceux qui doivent y tracer les routes de l'Évangile. Je meurs donc sans avoir pu faire autre chose pour toi que souffrir, et par mes souffrances, te préparer des apôtres. » Les apôtres formés par Lavigerie ont continué son oeuvre., Lavigerie voulait, en 1871, fonder en Algérie des villages d'orphelins ; les Pères Blancs, au lendemain de la famine qui sévit l'année d'après sa mort, créèrent en Tunisie, pour les orphelins, une grande exploitation agricole, qui fut le point de départ d'un nouveau village chrétien (1). Lavigerie prévoyait, en 1878, quatre vicariats apostoliques ; actuellement, le rayonnement même de l'apostolat des Pères Blancs a (i) Antoine Philippe, Chronique sociale de France, novembre 1924, p.846, |