4'70 REVUE DES DEUX MONDES. à remonter dans la basilique. « Merci, mes enfants, leur disait-il. Le jour vient et il est proche, où vous n'aurez plus à me remonter. » En grande pompe, le jour de l'Ascension, devant le résident général de France et dix évêques, la cathédrale s'inaugurait. Lavigerie, dans une lettre pastorale, interprétait l'événement. Jadis César, campant sur les ruines de Carthage, avait entendu, s'il en faut croire Appien, les sanglots d'une immense multitude qui demandait d'être rappelée à la vie, et César, saisissant ses tablettes, y avait jeté ces deux mots : « Relever Carthage. » Cinq siècles plus tard, saint Victor de Vite, au terme de son Histoire des persécutions vandales, avait invoqué tous les saints d'Afrique, pour qu'en retour de leurs souffrances, de leurs martyrs, ils obtinssent de leur Dieu la résurrection de l'Église africaine. Sous les yeux de Lavigerie, le programme de César et la prière de Victor de Vite avaient commencé de s'accomplir : une Carthage ressuscitée présidait aux destinées d'une Église africaine ressuscitée, et le prélat s'écriait : « Me blâmerez-vous d'avoir cru comme César aux sanglots des multitudes disparues sous les ruines de leur patrie, et, comme l'évêque de Vite, aux prières des saints de notre Afrique, implorant de Dieu sa résurrection ? » Il ouvrait un concile, dans la resplendissante cathédrale ; on y émettait le voeu que saint Fulgence, l'évêque exilé par les Vandales, fût proclamé par Rome docteur de l'Église, et le concile, au bout de deux jours, transportait sa séance finale à Tunis, où Lavigerie allait poser la première pierre d'une autre cathédrale. « C'est un revenant épique que cet homme s'écriait M. Louis Bertrand ; c'est Turpin, l'archevêque de la chanson de Roland (1). » L'âge le pressait d'achever ses fondations, et les événements eux-mêmes semblaient se presseu, pour apporter à ses espoirs quelques prémices d'accomplissement ; en ce même mois de mai 1890, il avait la, joie d'annoncer à Paris le décret du bey de Tunis, qui supprimait l'esclavage dans ses États, et cette autre joie, plus grande encore, de recevoir une lettre dans laquelle le roi Mwanga, inopinément restauré sur son trône de l'Ouganda, lui demandait des missionnaires et promettait toute (1) Louis Bertrand, le Sang des races, préface de 1920,p. 5. |