158 REVUE DES DEUX MONDES. à la force brutale : Lavigerie voulait un remède plus prompt, plus efficace, plus décisif. Rappelant l'époque où les chevaliers de Malte et de Saint-Lazare, d'Alcantara et de l'Ordre teutonique, s'armaient pour la défense des faibles et suppléaient à ce que l'autorité des États réguliers ne pouvait alors accomplir ni même tenter, Lavigerie s'écriait : « Pourquoi, jeunes gens chrétiens des divers pays de l'Europe, ne ressusciteriez-vous pas, dans les contrées barbares de l'intérieur de l'Afrique, ces nobles entreprises de nos pères ? » Et confiant ces voeux aux journalistes de toutes les opinions pour être propagés, répercutés, il évoquait, en terminant, l'image de ce Macédonien, qu'un jour saint Paul entrevoyait en rêve, et qui lui criait jusqu'en Asie mineure : « Passe la mer, et viens nous secourir.. » L'Afrique esclave, aujourd'hui, lançait vers la France la même clameur. Le 31 juillet, Lavigerie parlait à Londres, sous la présidence de Lord Granville. Il glorifiait Wilberforce, avocat infatigable des esclaves. Il redisait l'appel suprême du grand explorateur Livingstone, qu'il venait de relire, gravé sur son tombeau, à Westminster : « Je ne puis rien faire de plus que de souhaiter que les bénédictions les plus abondantes du ciel descendent sur tous ceux, quels qu'ils soient, Anglais, Américains ou Turcs, qui contribueront à faire disparaître de ce monde la plaie affreuse de l'esclavage. » Sous les auspices de ce souhait émouvant, Lavigerie présentait à son auditoire anglais quatre cents témoins dont il allait dire le témoignage : c'étaient ses trois cents Pères Blancs vivants, ses cent Pères Blancs déjà morts, dont onze martyrs. Témoins d'élite, ceux-ci au moins, puisqu'ils s'étaient fait égorger. Et, sous l'impression de leurs dépositions, le cardinal Manning faisait voter la résolution suivante : « Le temps est maintenant arrivé où toutes les nations de l'Europe qui, au Congrès de Vienne, en 1815, et à la Conférence de Vérone, en 1822, ont pris une série de résolutions condamnant sévèrement le commerce des esclaves, doivent prendre des mesures sérieuses pour en arriver à un effet pratique. Comme les brigands arabes, dont les dévastations sanguinaires dépeuplent en ce moment l'Afrique, ne sont ni sujets à des lois ni sous une autorité responsable, il appartient aux gouvernements de l'Europe d'assurer leur disparition de tous les territoires où ils |