150 REVUE DES DEUX'MONDES. marchés de l'Islam, depuis que l'Europe, en débarquant sur la côte barbaresque, avait mis un terme à la piraterie méditerranéenne, et depuis que la Russie avait achevé d'occuper le Caucase. Mais le khédive même d'Égypte avait un jour expliqué : « La disparition graduelle des esclaves blancs, à Constantinople et dans le bassin de la Méditerranée, a rendu nécessaire l'accroissement des esclaves noirs ; les moeurs, les traditions, les besoins des populations musulmanes, en ont fait, pour elles, un mal nécessaire. » On s'était donc mis à razzier, dans l'inaccessible Afrique, nègres et négresses,'et la traite africaine, dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, avait sans cesse progressé. Cette traite nouvelle n'avait rien de commun avec l'ancienne traite coloniale, qui, chaque année, expédiait en Amérique un certain contingent de bras humains, pour la culture d'un sol rebelle, ni même avec la traite telle qu'elle se pratiquait dans les années 1860 à 18'70, en vue de trouver de solides épaules et de robustes jarrets qui portassent jusqu'à la côte africaine les défenses d'éléphants. Il semblait que la mode actuelle, chez les esclavagistes, fùt de rechercher, non seulement de bons portefaix, mais des femmes, des enfants, qui, durant les longs jours de marche, ne pouvaient aisément s'enfuir. « Quand j'ai essayé, écrivait Livingstone, de rendre compte de ces faits, j'ai dû rester très loin de la vérité, de peur d'être taxé d'exagération ; mais en surfaire les calamités est une pure impossibilité. Les scènes de la traite se représentent malgré moi et, au milieu de la nuit, me réveillent en sursaut. » Des bandes armées jusqu'aux dents, venues de l'Égypte, ou du Maroc, ou de Zanzibar, s'abattaient soudainement, comme des trombes, sur ces hauts plateaux de l'Afrique, où les populations n'avaient d'autres armes que des flèches et des lances. Le nègre, pour ces musulmans, c'était quelqu'un qui n'appartenait pas à la famille humaine. Des commentateurs du Coran le leur affirmaient : bonne excuse pour créer la terreur, tuer les vieillards, ramasser hommes mûrs et jeunes gens, enfants et femmes, et les emmener vers un marché de l'intérieur, les fers aux mains, des cangues au cou. « Toute femme, tout enfant, qui s'éloigne à dix minutes de son village, écrivait à Lavigerie un de ses Pères Blancs, n'est plus certain d'y revenir. » Malheur à ceux qui dans la triste caravane, malgré le stimulant du fouet, |