122 REVUE DES DEUX MONDES. n'est pas seulement Madame qui se meurt, qui est morte, c'est, en dix-huit mois, le grand dauphin, le Duc de Bourgogne, la Duchesse de Bourgogne, le Duc de Berry, si bien que de la famille royale il ne reste plus, à la fin du, règne, que l'aïeul et un arrière-petit-fils unique, avec, comme plus proches parents, les d'Orléans, et les bâtards, eux-mêmes fort décimés. La variole était alors un fléau : dans cette magnifique cour, presque pas un visage de femme qui ne fût horriblement grêlé ; être ainsi marquée témoignait d'avoir été'privilégiée, d'avoir payé au mal le tribut inévitable et d'avoir échappé à une mort prématurée. Le premier grand progrès de la médecine a été l'annihilation de la variole. Actuellement, on peut dire que la maladie n'existe plus en France ; voilà vingt ans que je n'en ai pas vu un cas. La pratique de la vaccination jennérienne a fait disparaître le fléau. On oublie quelle reconnaissance l'humanité doit à Jenner. On ne songe plus aux hécatombes que sa découverte nous épargne. Les mères ne savent pas qu'elles lui doivent de conserver leurs fils et leurs filles, et celles-ci de montrer un joli visage. Pas une famille autrefois où la variole n'eût fait de cruels vides dans la suite des frères et soeurs. On trouve très naturel, à présent, que tous aient survécu. Passé le péril, oublié le saint. Sait-on aussi quel fléau a été le rhumatisme articulaire aigu ? Actuellement, on enraye le mal, en quarante-huit heures, par l'administration de doses fortes et répétées de salicylate de soude. L'adolescent qui, sans ce remède, serait devenu infirme, si même il n'était mort, est guéri et poursuit sa vie. (Je parle naturellement du rhumatisme articulaire aigu vrai, et non des pseudo-rhumatismes et des douleurs rhumatoïdes auxquelles le nom de rhumatisme reste encore attaché par persistance d'une confusion ancienne.) Je n'ai pas connu la période antérieure au salicylate de soude, c'est en 1877 que Germain Sée a fait connaître l'action merveilleuse de ce médicament, mais les maîtres qui m'ont initié à l'art médical ont vécu ce temps. Je sais par eux ce qu'était alors n rhumatisme. Il durait des mois et des mois, il se compliquait presque constamment de graves localisations sur le coeur et sur le péricarde qui aboutissaient à la maladie de coeur chronique et entraînaient la mort. Les services d'hôpitaux étaient pleins de rhumatisants, au front |