178 REVUE DES DEUX MONDES. tueux habits de cérémonie, achetés au Temple, et destinés à parer les courtisans des roitelets nègres, ou les roitelets euxmêmes. Car dans ces régions où la terrible mouche tsé-tsé tuait les animaux domestiques, où les principicules sauvages ne connaissaient aucune monnaie d'échange, il fallait traîner avec soi un véritable bazar ambulant, qui exigeait de nombreuses épaules humaines. Avant de quitter Zanzibar pour s'enfoncer dans la meurtrière Afrique, les Dix recevaient des lettres de Lavigerie, qui leur disait : Je prie pour vous à Rome, je vais prier pour vous au Saint-Sépulcre. L'équipe destinée au Tanganyika, bientôt réduite à quatre par la mort du P.Pascal, ne devait arriver à destination qu'en janvier 1879 ; il fallut six mois de marche encore aux cinq apôtres de l'Ouganda pour qu'ils fussent au but. Sans rien perdre de ce don d'ubiquité qui la fixait presque simultanément à Rome et à Jérusalem, à Alger et à Tunis, à Paris et aux Grands Lacs, c'est dans cette dernière région que la pensée de Lavigerie s'attardait alors avec le plus de tendresse. Elle suivait ses fils, aventureusement expédiés ; elle cherchait, parmi les petits clercs de son séminaire, les recrues qui pourraient un jour, là-bas, remplacer les martyrs. J'ai soif, j'ai soif, criait-il au vendredi-saint de 1879, dans un discours tout haletant : il répétait ce cri suppliant du Christ en croix, le commentait, conjurait ses auditeurs d'avoir soif des âmes. La première caravane cheminait encore, que déjà la seconde se préparait (1). Les lettres qu'il adressait à Paris, à la procure des Pères Blancs, s'occupaient des moindres détails du nouveau bazar qu'il y avait à acheter, à encaisser, à transporter. Comme escorte armée, pour cette seconde caravane, il voulait d'anciens zouaves pontificaux : Charmetant fut envoyé à Bruxelles, pour en trouver. Et l'imagination débridée de Lavigerie voyait en eux les fondateurs éventuels d'un royaume chrétien au centre de l'Afrique équatoriale, qui deviendrait très puissant, probablement en peu de temps. Ce serait un chapitre nouveau s'ajoutant, sous les regards du xixe siècle finissant, à l'histoire des royautés jadis fondées par l'Église aux marches de la civilisation chrétienne ; Lavigerie semblait impatient, déjà, de mettre ce chapitre au net, avant (i) Voir Journal de voyage des missionnaires d'Alger aux Grands Lacs de'Afrique équatoriale (Alger, Jourdan, 1819). |