'766 REVUE DES DEUX MONDES. intrusions que le serait logiquement le ministère des Affaires étrangères, chefs et sous-chefs, pour peu qu'ils aient des crédits à demander, se signent et se terrent devant des fantoches qui, dépouillés de leurs écharpes et vidés de la paille électorale dont ils sont gonflés, ne seraient pas même des épouvantails à moineaux. Il n'est pas de muet, pas de grotesque, qui, à la longue, par son insistance, ne réussisse, sinon à se faire prendre au sérieux, du moins à obtenir les mêmes effets que si on l'y prenait. Lorsqu'on lui a opposé timidement pendant un certain temps les « grippements » de la mécanique, les formalités protectrices, l'attente sédative, on lui cède. Si l'on ne l'use pas, il abuse ; si l'on ne le décourage pas, il revient. Il n'a jamais assez, il réclame davantage. Or, d'une part, la législation met à sa merci le sort des citoyens en général, et, d'autre part, l'administration lui livre, dans le détail, substance et subsistance, jusqu'au pain quotidien de chacun. Peut-être, ces bornes nécessaires qu'il ne trouve ni dans la constitution, ni dans les moeurs, ni dans les caractères, ni dans le libre exercice des autres pouvoirs, ni dans une juste appréciation du sien, le député les trouverait-il, par hypothèse, dans les scrupules de sa délicatesse. Mais, quand il n'est pas né sans délicatesse, et c'est le cas le plus commun qu'il n'en soit pas naturellement privé plus que n'importe qui, il est pour ainsi dire forcé d'étouffer ses scrupules. Il les étouffe, parce que, s'il en a, d'autres n'en ont pas ; tandis qu'il est à son poste à Paris, d'autres, dans son département, lui font, suivant une expression fameuse, légèrement détournée de son sens, « un grand feu par-dessous ». Il est talonné, éperonné, aiguillonné par la concurrence. Le jour où ils l'ont désigné, ses électeurs lui ont ouvert un compte qui part pour lui d'un lourd débit. Ils inscriront en regard, dans les quatre ans qui lui sont accordés, les bénéfices, emplois, faveurs, décorations, passe-droits de toute sorte qu'il leur rapportera. On fera la balance au renouvellement. Il en est halluciné. Derrière l'échéance, lui apparaît le spectre de la déchéance. Il a besoin, pour survivre, des ministres, qui ont besoin de lui pour se maintenir. Donnant, recevant ; recevant, donnant ; ses électeurs l'exploitent, il exploite les ministres ; farandole où tous les danseurs plongent les mains dans les poches d'autrui. Ainsi l'échelle se dresse, la chaîne se rive. |