'760 riEVUE DES DEUX MONDES. En tout cas, personne n'aura eu comme lui l'horreur et peut-être l'épouvante de la mort... Voilà un état d'âme que je ne puis plus comprendre et qui procède d'une incertitude, peutêtre d'une faiblesse foncière ! Prises de vertiges l'intelligence et la volonté hésitent, finissent par sombrer 1 Quelle misère 1 Quelle misère ! Non, non 1 mille fois non ! Il faut savoir prendre un parti ! Il faut avoir le courage ale prendre un parti 1 Moi, j'ai pris le mien 1 Je n'ai pas peur de la mort 1 Je sais ce qui m'attend ! Je vais joyeusement au-devant de mon destin ! Advienne que pourra 1... Nous étions arrivés tout au bord de la mer, sur la route en terrasse qui domine la plage. En cette minute, un grand zéphyr balayait les plaines grises de l'Atlantique. Les chevaux cabrés des vagues déferlaient sur nous en ordre de bataille. C'était un bruit de mêlée confuse. Des explosions formidables retentissaient contre les roches géantes de Saint-Jean-de-Luz et de Biarritz. Dans la lumière déchaînée du couchant, que les coups de brise semblaient déchirer en lambeaux splendides, le spectacle était réellement lyrique : Que c'est beau 1 Que c'est beau ! me dit Perbal en me prenant la main, comme à quinze ans, quand il me récitait des vers sublimes inconnus de moi... Ah ! mon vieux, tant que je serai capable de ces enthousiasmes, je me croirai toujours bon pour le service !... Nous étions descendus lentement vers la mer, en suivant la route à pied. L'auto nous avait précédés. Le moment était venu de nous séparer... Je considérai Perbal intensément, comme si j'avais voulu graver à jamais son visage dans ma mémoire. Je ne savais vers quoi il marchait. Je tremblais au fond de moi... Mais cette exaltation, dans cette fermeté d'âme, me rassurait malgré les pires pressentiments. Nous nous étreignîmes rapidement. Simple formalité du départ : il y avait déjà longtemps qu'en esprit nous nous étions dit adieu. Il reclaqua rudement la portière. L'auto démarra très vite. Et moi, je restai à la même place, assis sur un petit mur, au bord de la mer retentissante. Je le suivais des yeux, je le regardais fuir vers les monts violets, jusqu'au moment où il disparut dans la féerie du crépuscule... Lours BERTRAND. |