928 REVUE DES DEUX MONDES. n'a que faire de sentiments aussi cornéliens ; il leichaut peu d'aimer un Rodrigue ou un Amadis. Celui pour lequel elle soupire est le jeune Valsain, le fils d'un châtelain du voisinage. Et c'est en combinant tout un faux sauvetage de Julie, arrachée à de prétendus brigands, que ce jeune homme, pour flatter la manie de Ma tante Aurore, s'efforce à gagner la main de la jeune fille. On voit que cette intrigue, toute romanesque, est bien fragile. C'est sur elle pourtant que Boïeldieu broda les jolis caprices d'une partition exquise, d'une orchestration délicate, et, quand il le fallait, d'une animation, d'une gaieté, d'un brio incomparables. Non seulement Martin, Mme Saint-Auban, Gavaudan, malgré quelque fléchissement au troisième acte qu'on dut modifier, s'y montrèrent excellents ; mais 11Ime Gonthier, dans les charmants couplets du début adressés à sa nièce Julie et pour laquelle le compositeur s'était surpassé, remporta un succès qui demeura légendaire, et pour toujours associa le nom de l'ancienne Estelle à celui de la vieille fille romanesque. C'est dans l'instant que Julie vient d'avouer pudiquement son secret penchant pour Valsain ; de quelle plaisante fureur un pareil aveu soulève, à ce moment, Ma tante Aurore ! II faut se l'imaginer sous son grand bonnet archaïque à brides, dans sa robe à ramages de l'autre temps, le nez toujours chevauché de ses lunettes, et, comme un beau diable parmi ses affiquets, dans la profusion de ses pompons et de ses rubans, se remuant à qui mieux mieux. Rien n'est plus agréable que ce passage ; et quelle tendresse railleuse, quelle fine bonhomie, « maman » Gonthier sut mettre dans le chant si heureux de ce couplet adressé à sa nièce : Je ne vous vois jamais rêveuse ; Vous lisez sans distractions ; Jamais d'affection nerveuse, Jamais de palpitations. A tout vous préférez la danse, A Marton vous montrez des pas... Non, ma nièce, vous n'aimez pas'. Dans la finale un peu dure, d'une sécheresse voulue, et que la chanteuse affirmait d'un petit coup de son éventail sur le bras de Julie, on sentait bien ce que voulait dire « maman » Gonthier ; et que, pour ce qui était d'aimer, nulle femme, |