926 REVUE DES DEUX MONDES. rin n'était plus qu'une ombre ; et, fructidor n'était pas révolu que l'amant d'Estelle, dans la petite maison que lui avait donnée autrefois le duc de Penthièvre, assisté de son serviteur Mercier, achevait des jours désormais à charge. Au lieu du « grand alizier » sous lequel il avait demandé à reposer à la fin de sa pastorale, et du frais vallon « où croissent la verte olive, la mûre vermeille », c'était dans le petit cimetière de Sceaux que, revêtu de son bel uniforme tout d'azur, alla reposer « joli dragon ». Mais d'autres dragons, d'autres canonniers, d'autres voltigeurs, aux yeux de Mme Gonthier, ce soir de vendémiaire (octobre 1797), emplissaient le parterre des anciens Italiens ; c'étaient ceux de la République. Eux aussi, à la grande nouvelle de Campo-Formio, s'étaient levés dans leurs bancs, avaient battu des mains, acclamé la paix. A présent, l'orchestre recommençait de jouer. Ayant laissé le chant de Méhul et celui de Rouget de Lisle, il attaquait en sourdine l'un de ces airs délicieux, si juvéniles et qui plaisaient tant : S'il est vrai que d'are deux... 0 toi que j'aime !... que le fameux Garat, depuis deux ans déjà, avait mis à la mode. A la cantonade, et tandis qu'un immense apaisement, dans la salle soulevée, avait succédé à la tempête, Mme Gonthier, redevenue Estelle pour un moment, reprenait la romance. Et l'on était surpris, à travers l'accent villageois de la rustique et franche commère, de surprendre tout à coup, par une sorte de miracle, un air si délicat, un chant si frais, si pur qu'il semblait emprunté à la source ou au rossignol ; cependant que « maman » Gonthier, reprenant peu à peu son rôle véritable, recommençait la pièce et, de nouveau, se faisait applaudir. Mais quels applaudissements pouvaient valoir, à ses yeux surpris, ceux de ce jeune homme si distingué, si charmant, le cou étroitement serré dans sa haute cravate Directoire, et qui, tout près de l'orchestre, tourné de son côté, battait et battait des mains ? Ainsi, lorsqu'elle avait joué jadis, il y avait de cela bien des années, pour la première fois, dans te Sorcier de Philidor, M. de Florian était apparu, avait pris son coeur. Maintenant cet aimable, cet élégant muscadin, tournant entre ses mains sa haute canne enrubannée et jouant de son habit à basques, après avoir manifesté encore par de fiers bravos son approbation, saluait les musiciens et quittait la salle. Cependant, il s'était à |