918 REVUE DES DEUX MONDES. lesquelles Florian mit tout son esprit d'auteur, Madame Gonthier son charme et son talent d'interprète. « Mets-toi là ; ne fais pas de bruit, dit Firmin à Agathe dans la comédie du Bon fils, et dis-moi bien doucement si tu m'aimes toujours ? Voilà une bonne question, répond Agathe, est-ce que l'on aime autrement que pour toujours ? » Le mot, dans la bouche d'Agathe, c'est-à-dire de Mme Gonthier, est charmant de grâce, de finesse et de sensibilité amoureuse. Mais Florian, de son côté, sera-t-il toujours comme Agathe ? Et le bel officier aux dragons de Penthièvre (régiment de Chartres) pensera-t-il jamais autrement que Firmin ? C'est ce que nous allons voir, par la suite d'un récit où tous deux continuent de faire figure de bergers de parade ou d'opéra-bouffe. III. - ESTELLE ET NÉMORIN D'abord, qu'était devenu l'acteur Gonthier, dont Rose- Françoise portait bien n peu légèrement le nom ? Voilà bien ce que l'on ne saura jamais, la future Tante Aurore ne faisant pas plus de cas de lui sans doute que jadis Mlle de Champmeslé ne fit de Champmeslé. Pour M. de Florian, qui rêvait d'être aux lettres ce que Boucher était devenu dans les arts, c'està-dire une sorte d'idéal berger, il allait de par le monde n'imaginant que pastorales ; et, comme il avait pris ce goût autant chez Cervantes que chez le bon d'Urfé, il se disait que, de même que Cervantes mit beaucoup de lui et de sa chère bienaimée doña Catarina de Palacius dans les personnages de Galatée, il entendait, de son côté, composer le récit des amours d'Estelle et de Némorin à la, ressemblance des deux amoureux qu'ils étaient déjà, Rose-F : 1.nçoise et lui. Oh ! cela ne se fit pas tout de suite. Dans de telles oeuvres, qui contiennent tant du coeur de celui qui les crée, il faut, avant de parvenir à les animer, un certain effort de l'âme, enfin cette application à laquelle le temps apporte beaucoup de lui et de ses découvertes. Sainte-Beuve a écrit à ce propos très justement que c'est surtout dans son théâtre que Florian se fait voir dans « le vrai et le vif de sa nature ». C'est donc en passant par les Italiens, en s'offrant le divertissement, lui de composer, elle de jouer de petits rôles que tous deux s'apprêtèrent à aborder la pastorale. « Un Arlequin bon, doux, ingénu, |