734 REVUE DES DEUX MONDES de la Place d'Armes et de la Place de Chambre, tout ce bel et sévère ensemble architectural, ce cadre Louis XV imposé par Boffrand au vaisseau gothique de la cathédrale, et qui s'accorde on ne sait comment avec le style très sobre et très sévère, lui aussi, de l'antique édifice ; après avoir lu l'inscription gravée au socle de la statue de Fabert, entre ses trophées de cuirasses, d'étendards et de casques empanachés, comme ceux du palais de Versailles ; après être descendu jusqu'à la Place de la Comédie et jusqu'au Jardin d'Amour, quand j'arrivais enfin, par les quais de la Moselle, sur la haute et vaste terrasse de l'Esplanade, devant ses parterres à la française, ses massifs de verdures, sa perspective ouverte sur le fleuve, les prairies et les collines vineuses, - j'avais embrassé toute l'histoire de la ville, sur laquelle Rome, le moyen âge, la monarchie française ont laissé les trois plus profondes empreintes. Le romain n'est plus guère visible dans le Metz d'aujourd'hui, mais il est toujours sensible pour quiconque a le sens du passé et connaît la vieille cité dans ses recoins comme dans ses entours. Pour moi, quand je suis sur l'Esplanade, devant la pergola qui domine la rivière, quand mes yeux cherchent à deviner, derrière ses méandres, du côté de Jouy et d'Ars-sur- Moselle, les arches rompues de l'aqueduc romain, quand je songe aux mosaïques découvertes dans nos villages lorrains jusqu'à Trèves et jusqu'à Coblence, devant les vignes de Scy, de Lorry et de Rozérieulles, tandis que je respire l'odeur des tilleuls en fleurs, peu à peu ma rêverie s'égaie de légères images gallo-romaines. Autant qu'en Afrique, devant les ruines de Théveste ou de Thamugaddi, je me sens en pays latin : cette rivière au flot puissant et paisible, c'est toujours la Moselle d'Ausone. Certes, au moment où j'accomplissais mes douze ans, je ne songeais guère à ces belles choses. Mais l'Esplanade était, pour moi, un lieu délectable entre tous, le lieu le plus attirant et comme le symbole de cette cité couronnée de pampres et parfumée de tilleul. Ce qui prenait surtout mon regard, c'était le moyen âge et le classique messins, particulièrement le moyen âge : la vieille acropole romaine exhaussée par la masse abrupte de la cathédrale. Il faut reconnaître que cela fait un fond de tableau merveilleux, quand on arrive par le Rempart Belle- Isle et le Pont-des-Morts. Au crépuscule, sous un ciel brumeux |