874 REVUE DES DEUX MONDES. brinborions de mercerie. Toutefois, le citoyen Lamour, ennemi de la propriété, effrayait en général les fermiers. Et puis, c'était un passant, un homme de rien, étranger au pays. Pinson veau, jugeant l'atmosphère favorable, se résolut à porter un coup décisif : - N'avez-vous point le colonel de Gensaye ? Pourquoi ne ferait-il pas un sénateur tout comme un autre ? Alors ce fut l'explosion prévue par le madré bonhomme. Pour ça, non ! On l'avait nommé député voilà trois ans. C'était plus que suffisant. On ne le connaissait seulement pas. Depuis qu'il siégeait à la Chambre, l'avait-on aperçu dans la contrée une dizaine de fois ? Sylvain prit la défense du colonel. C'était un enfant du pays. Défunt son père y était bien estimé, et sa mère, la marquise, une bonne personne, avait fondé, avant de mourir, un hospice à Saint-Aubin. Et puis, c'était un brave, qui leur avait fait de l'honneur à tous. Et, en termes naïfs, Sylvain narra, pour la centième fois, l'histoire de la mission Lépicier qu'il tenait de son patron, M. le comte de Raimondis. Mais cette histoire, trop vieille et trop ressassée, n'excitait plus les esprits. Sceptique, le fermier de la Renardière, un nommé Cupif, à figure éveillée, osa dire : - Tu nous en contes, Sylvain... D'abord, ça existe-t-il seulement ce pays-là, ce Tonkin dont tu nous causes ? Il fut rétorqué par Malvoisin, ancien soldat d'infanterie de marine, qui, pendant son congé, était allé par là-bas. Pinsonneau intervint pour soutenir Cupif. Oui, le Tonkin existait. Mais à quoi pouvaient servir des expéditions pareilles ? A rien, sauf à coûter de l'argent et à occasionner la guerre. Ceux qui prenaient part à ces expéditions-là étaient des risque-tout, des têtes brûlées, qui n'étaient certainement pas comme tout le monde. Les affaires de la contrée ne les intéressaient pas. On en avait, du reste, assez la preuve avec M. de Gensaye. Sylvain, qui ne se tenait pas pour battu, assura que le colonel travaillait dur à la Chambre et que telle était la cause pour laquelle on le voyait si rarement. Mais il se heurta à l'incrédulité et à l'hilarité générales, les paysans n'admettant pas que le travail de tête pût être un vrai travail. - Ah ! il travaille ? Ah ! il travaille ? que tu dis, Sylvain. Oui, il travaille pour nous mettre des impôts. Chaque année, |