868 13EVUE DES DEUX MONDÉS. 11 allait arriver à sa ferme quand il croisa M. Pinsonneau, l'ancien député de l'arrondissement de Saint-Aubin, réputé parmi les plus malins pêcheurs de carpes de Sarthe-et-Loir, rencontre qui ne déplut pas à Martineau, car on abordait sans difficultés M. Philarète Pinsonneau, homme point fier, très causant, et qui savait bien des choses. M. Pinsonneau, d'ailleurs, n'était-il pas le cousin de M. Hyacinthe Beloiseau, conseiller général du canton et à qui appartenait la Barbotinière`'— Vous voilà, Martineau. Je parierais que vous venez encore de commettre un délit de pêche, espèce de sacripant ! Mais M. Philarète Pinsonneau souriait ; une jovialité illuminait sa longue figure maigre et ridée. Aussi, Martineau, d'ordinaire plus cachotier, avoua-t-il sans détour : - Ça se pourrait, monsieur. Aussi, c'est-il pas pécher que de laisser perdre le bien du Bon Dieu ? J'avais quasiment jamais tant vu de carpes que ce matin dans la grée de la Renardière., Et il souleva le couvercle de son panier. Pinsonneau, de sa grande main sèche et osseuse, soupesa à son tour la carpe en connaisseur : — Elle est fameuse I... Elle pèserait dans les neuf livres que je n'en serais pas surpris. — Peut-être pas tout à fait neuf livres, mais guère moins de huit. - Brigand ! Moi qui ai mis près de quinze jours avant que d'en prendre une, l'été passé, dans le moment de la Saint-Cloud. Vous, Martineau, vous n'avez qu'y, sortir, votre canne à la main, pour rentrer votre panier plein. La maîtresse va être réjouie, bien sûr. - Sûr qu'on n'ira point la porter au marché, cette carpelà. Puis, par politesse pour M. Pinsonneau, Martineau ajouta : Seulement, y a point de mérite, monsieur. C'est Monsieur Pinsonneau qui sait bien les prendre aussi, les carpes, avec sa ligne, quoique ça ne soit guère aisé. - Des fois, Martineau, des fois. Mais les carpes, que c'est rusé ! Montrant un petit promontoire qui s'arrondissait dans une courbe de la rivière, sous des peupliers pointant leurs |