862 REVUE DES DEUX MONDES. des conditions dans lesquelles se présentait la prétendue « vacance » du khalifat, que les ulémas indiens et égyptiens recommandaient la modération et mettaient en garde le monde musulman contre des proclamations précipitées. La netteté de ces conseils et de ces avertissements mettait en évidence leur loyalisme autant que leur fermeté. Aussi furent-ils approuvés par tous les éléments pondérés de la communauté musulmane qui, remis de la surprise du 7 mars, venaient précisément de percer à jour la manoeuvre hachémite. Les avis des autorités françaises se manifestèrent ainsi au même moment que les hésitations et les résistances de la plupart des chefs religieux et de certains grands personnages musulmans comme l'émir Saïd, petit-fils d'Abd-el-Kader. Ceux-ci commencèrent d'abord, notamment à Beyrouth et à Tripoli, par prêcher la modération et l'attente ; en même temps ils s'enquirent des résolutions prises dans quelques-uns des grands États musulmans étrangers ; les autorités religieuses de chaque ville s'empressèrent de communiquer entre elles et de se renseigner exactement sur leurs initiatives, évitant ainsi d'être réciproquement victimes de fausses nouvelles. Des doutes naquirent sur la légitimité de la déposition d'Abdul Medjid, à qui, d'ailleurs, les Puissances européennes manifestaient de la sympathie ; par esprit d'imitation ou par réaction contre le premier mouvement, la communauté musulmane de Beyrouth réserva un généreux accueil à une dizaine de princes et princesses de la famille impériale turque, qui demandèrent, le 12 mars, au Liban la protection dans leur exil. Puis on en vint à discuter les titres mêmes du roi Hussein, à rappeler que la tradition de l'Islam exige que le khalife soit nommé par son prédécesseur ou élu par les ulémas, qu'il doit être indépendant et en possession des reliques sacrées ; or il était aisé de constater que le roi du Hedjaz ne remplissait aucune de ces quatre conditions ; tout au contraire, une grande partie de l'Islam le considérait, à cause de sa docilité à l'égard d'une Puissance occidentale, comme un traître à la cause musulmane ; et l'on ne manquait pas d'ajouter qu'il gardait mal les « Lieux saints », qu'il ne pouvait assurer la sécurité des pèlerins, qu'il avait laissé l'année précédente massacrer une caravane de Yéménites, que le chemin de fer du Hedjaz était sans cesse attaqué par des rezzous wahabites et que, dans son anarchique |