72s REVUE DES DEUX MONDES. d'organiser l'emploi de mon temps pour toute l'année qui allait venir, et de suppléer, tant bien que mal, à l'enseignement du collège. Il fut entendu que l'arpente.ur communal m'apprendrait les mathématiques, et l'instituteur, l'orthographe, de façon à compléter les leçons de latin que je devais recevoir, ainsi qu'il était convenu, d'un des vicaires de la paroisse. Ces leçons de latin ne tardèrent pas à devenir mon cauchemar. Trois fois par semaine, à cinq heures du soir, je me rendais chez cet ecclésiastique, qui était, en vérité, un fort brave homme, mais qui ne s'occupait de moi qu'à ses moments perdus et encore d'assez mauvaise grâce et de la façon la plus fantaisiste. J'attendais l'heure de la leçon chez mes tantes, qui habitaient juste en face du presbytère. Quand cinq heures sonnaient au cartel de la salle à manger, ma tante Joséphine me disait : Allons ! dépêche-toi 1 Il est temps d'aller chez ton abbé ! « Mon abbé ! » C'était une façon de parler. Il m'appartenait si peu ! Perdu dans le découpage, rien n'existait au monde pour ce vicaire que sa scie mécanique et ses pots de colle. Artiste à sa façon, il employait tous ses loisirs à fabriquer des étagères, des cadres de photographies et des râteliers pour les pipes. Comme M. Homais avec ses ronds de serviettes, il en encombrait toutes les maisons pieuses où il avait accès. Quand j'arrivais dans sa chambre, je le trouvais invariablement penché sur sa scie à découper. Des éclats de bois gisaient sur le plancher, des traînées de sciure salissaient, sur son bureau, ses cours de théologie. Dans toute la pièce, on sentait une écoeurante odeur de colle forte. Sans s'interrompre de son travail, sans même tourner la tête, ce cher abbé m'enjoignait de repasser ma grammaire. Il était long à finir et à fignoler son chefd'oeuvre. Pendant ce temps-là je contemplais, sur le mur, le portrait de Mgr Lavigerie, un Lavigerie imberbe, comme lorsqu'il était évêque de Nancy. C'était le temps où je lisais Turlure l'Africain. Dès cette époque, la figure du grand prélat qui ressuscitait alors l'Afrique latine, et qui devait tant obséder mon imagination, s'était donc manifestée à mes regards. Les signes indicateurs se multipliaient sur ma route... Enfin, le vicaire, repoussant sa scie et ses pots de colle, m'arrachait à ma contemplation. Il daignait enfin s'intéresser à mon existence. Je récitais trois règles de grammaire, ou un dizain des racines grecques. Je traduisais machinalement quelques vers d'IIorace |