832 REVUE DES DEUX MONDES. l'amusement de son chat ». Le manège se répéta tous les jours, et, comme les gardiens ne trouvaient jam ais rien dans les noix, ils cessèrent bientôt d'y prêter attention. 11 arriva qu'en tombant, une noix plus grosse que les autres vint frapper l'épaule d'Antoine de Beaulieu, roula devant lui. La justesse du coup l'étonna. Il poussa du pied, sous un banc, le léger projectile, s'assit d'un air indifférent avec son père et son beau-père, ramassa la noix et la mit dans sa poche. Rentré dans sa prison, il la cassa : les deux coquilles scellées d'un peu de cire, contenaient ce court billet : « Henriette est là qui veille sur vous. » Le jeune garçon n'était autre qu'llenriette déguisée en homme, installée dans une petite pièce qui donnait sur le préau. Montée sur la table, qu'elle poussait sous sa fenêtre, dissimulée derrière la triple rangée de barreaux, et faisant mine de jouer avec le chat, elle avait laissé tomber son message, au moment précis où son mari passait au-dessous d'elle. Une autre fois, elle l'avertit par le mème moyen de la présence de l'ancien huissier de Valognes, qui avait accès dans toutes les prisons, mais qui redoutait qu'à sa vue MM. de Beaulieu et de Rochemont ne se trahissent par un mouvement de surprise. Le brave homme ne craignit plus alors de venir leur apporter des nouvelles et des conseils. Les trois détenus ne tardèrent pas à être transférés rue Saint-Jacques, à la maison du Plessis attenante au collège Louis-le-Grand. Des fenêtres grillées, des lucarnes aux trois quarts aveuglées ! La façade de l'ancien collège du Plessis transformé en prison n'était guère avenante. Les événements du 9 thermidor avaient cependant adouci ce lugubre séjour. Malgré le danger mortel encore suspendu sur nombre de têtes, les hôtes du Plessis ne vivaient plus dans les transes quotidiennes où les jetait naguère l'arrivée de l'huissier du Tribunal. « Lorsque le roulement de la voiture du Tribunal révolutionnaire se faisait entendre au loin sur le pavé de la rue Saint- Jacques, a raconté l'une des détenues, la comtesse de Bohm, née Girardin, nous montions sur des malles, sur des chaises, et, le corps penché sur la barre de fer des croisées, le regard dirigé sur la cour, nous attendions avec anxiété la sinistre issue des événements. Le portier, dès qu'il apercevait le carrosse, ouvrait, avec la célérité de l'éclair, les triples serrures des grilles, qui à l'instant roulaient brusquement sur leurs gonds. Un |