828 REVUE DES DEUX MONDES. Mais, citoyen, me voilà prêt à faire la besogne à moi tout seul. - Allons donc, il y en a à revendre aujourd'hui. Tu ne peux suffire, il en faudrait dix comme toi. - Mon oncle, dit Henriette, qui ne désirait rien tant que d'avoir un prétexte pour séjourner dans ces bureaux de la Conciergerie, voisins sans doute du cachot de ses parents, ne serais-je pas capable de vous aider un peu ? Je voudrais bien être agréable au citoyen et surtout à la République. Henriette était rompue aux affaires. Avant la Révolution, nous l'avons vu, elle servait de secrétaire à son père, qui était directeur général des biens du duc de Penthièvre. « Son écriture, lisons-nous dans la relation, était magnifique, rapide comme la parole. » L'huissier ne l'ignorait pas, aussi proposa-t-il au chef d'essayer ses talents et ceux de sa « nièce », et bientôt les plumes des deux candidats couraient sur les feuilles administratives, dépêchant des expéditions que dictait le maître de ces bureaux abandonnés. De temps en temps, il se penchait sur l'épaule des écrivains. Son ail soupçonneux s'arrêtait un instant sur le papier d'Henriette, s'étonnait des caractères élégants tracés d'une main légère, de la rédaction aisée et correcte, se fixait sur la jeune fille, puis sur la figure de l'huissier, - Ah 1 ça, qu'est-ce qu'elle fait ta nièce ? - Citoyen, elle est blanchisseuse. - Diable ! Ce n'est pas mal cela pour une blanchisseuse. - Mais, citoyen, je vous prie de croire que je ne l'ai pas négligée ; je lui ai donné une fameuse éducation. Cependant, les employés arrivaient, les deux candidats leur cèdèrent leur place, mais le chef était conquis. - Sais-tu, reprit-il, qu'il n'y en a pas un parmi ceux-là qui soit capable d'en faire autant que ta nièce ? Eh bien ! je la prends pour employée, si elle le veut. - Allons donc, citoyen 1 Comment veux-tu que cette jeune fille vienne travailler au milieu de tous ces hommes ? Je n'ai rien à te refuser, mais quant à cela, non je ne le veux pas... - Pardieu, voilà une belle affaire, elle n'a qu'à s'habiller en homme... Tiens, je lui donnerai ce cabinet qui est là-bas, où il y a un poêle, elle en aura la clef et y travaillera seule, et puis elle balayera les bureaux tous les matins, ils en ont pas mal besoin, et elle aura soin de mon chat |