822 REVUE DES DEUX MONDES. femmes, entassées sur de la paille, abritées tant bien que mal par des rideaux de toile empruntés aux remises de la marquise d'Olonde. C'est le convoi des détenus, la « fournée » en marche vers Paris. Voici, dans l'une des charrettes, M11I. de Beaulieu et de Rochemont : derrière, à pied, un petit paquet à la main, Henriette et Louise règlent leur pas sur le pas allongé des chevaux. Deux gendarmes dirigent le convoi, seize volontaires de la.Charente l'entourent, qui l'accompagneront jusqu'à la petite ville de Carentan ; au delà, d'autres volontaires prendront leur place, d'autres encore, durant l'interminable voyage. Au bout de sept mortelles lieues (vingt-huit kilomètres pour employer les mesures établies par la Révolution), on atteignit Carentan, puis, le second jour sans doute, la ville montueuse de Saint-Lô. Henriette supportait vaillamment les émotions, la fatigue, mais Louise était accablée. 11 fallut le lendemain renoncer à suivre les charrettes, qui continuaient leur route vers Caen, demeurer à Saint-Lô jusqu'au soir pour ménager les forces de Louise, trouver quelque véhicule. Le maître de poste, chez qui Henriette se rendit, écouta sa demande les yeux attentivement fixés sur son visage : - Citoyenne, il faut que vous soyez appelée à Caen par de bien pressantes affaires, lui dit-il, pour vous hasarder ainsi à votre âge sur une route aussi peu sûre à ce moment. - Citoyen, répond Henriette, nous suivons, ma soeur et moi, nos parents qu'on mène au Tribunal révolutionnaire. - Ah ! Mademoiselle, s'écrie l'homme attendri, la forêt de Cerisy est occupée par les chouans, les diligences ne peuvent la traverser qu'escortées par de forts détachements de maréchaussée, et je ne puis vous donner pour vous conduire que mon dernier postillon, qui est un scélérat fieffé. - Nous ne pouvons attendre, citoyen ; la charrette de nos parents est déjà à Caen peut-être ; nous sommes résolues à tout braver. Tandis qu'on attelle, Henriette sort pour aller chercher Louise. Elle revient avec sa soeur, et le maitre de poste lui offre deux pistolets de poche tout chargés, qu'elle cache sous sa robe : « Au moindre mouvement, à la moindre parole inquiétante que pourrait se permettre le misérable qui va vous conduire, lui recommande-t-il, brûlez-lui la cervelle à l'instant : l'honneur avant tout » Henriette remercie, veut payer |