816 1EVUE DES DEUX MONDES. ciergerie. Pauvres gens condamnés en un tournemain, parfois cinquante en trente minutes ! Ils redescendent, jeunes filles, nonnes, douairières, jeunes hommes, vieillards, anciens officiers ou magistrats, gens de Cour ou de Parlement, les yeux baissés ou riant par fanfaronnade ; parfois ils se passent d'un geste rapide la main sur le cou pour indiquer à leurs compagnons de captivité, qui se pressent aux grilles du préau, qu'ils marchent à la guillotine. Cette vision de cauchemar ne se présente pas aux yeux d'Henriette et de Louise avec tous ses lugubres détails. Les deux jeunes filles n'en voient pas moins leur père et MM. de Beaulieu sous le couperet. Henriette court chez les membres du Comité de surveillance de Valognes. Beaucoup sont d'anciens obligés de M. de Beaulieu ; elle en obtient des promesses vagues. Mais soudain une rumeur grandit : les prisonniers ne seront pas jugés à Paris ; on va les égorger à Valognes dans la prison. Quoi 1 les scènes sanglantes des Carmes et de l'Abbaye dans Valognes 1 Voici, chez la citoyenne Le Carpentier, Henriette folle de douleur. Devant le désespoir de la jeune fille, la femme du Bourreau de la Manche crie brutalement, à sa servante : « Jetez-moi cette pleureuse au bas de l'escalier ! (1) » IV Antoine de Beaulieu avait eu pour précepteur, avant la Révolution, l'abbé Féret, depuis 1789 curé de Qrix. C'était, en 1794, un prêtre d'une quarantaine d'années. Lorsque l'ordre lui était parvenu, en 1790, de prêter serment à la Constitution civile du clergé, le curé de Brix, conformément au décret de l'Assemblée constituante, était monté en chaire après la grand'messe du dimanche, en présence du « Conseil général de la commune » et de ses paroissiens, et il avait déclaré avec beaucoup de fermeté : « Je jure fidélité à la nation en tout ce qui n'est pas contraire à la sainte Église catholique, apostolique et romaine. » Huit prêtres s'étaient alors levés dans le choeur, et avaient prononcé ces paroles à haute et intelligible voix « Je fais le même serment que M. le curé. » L'attitude n'était pas sans danger : dans toutes les paroisses, (1) I1 existe plusieurs versions de cette scène ; je m'en tiens à ce qui me paraît le plus vraisemblable. |