724 REVUE DES DEUX MONDES. ment excitées que chez nous. A cette date précise, aux mois d'août et septembre 1877, le Gouvernement du Seize-Mai brûlait ses dernières cartouches. La débâcle était proche. On ne parlait que de la mise à pied de Jules Simon, des discours de Gambetta, des embarras du maréchal. En vue des nouvelles élections toutes proches, la campagne opportuniste se déchaînait avec un redoublement de violence. Les vieilles parentes chez qui je me trouvais en étaient fort affectées. Leurs amis et nombre de personnes de leur entourage s'efforçaient de réagir, d'organiser la résistance. Je me souviens qu'on voyait fréquemment chez elles le notaire du lieu, personnage à tête d'artiste, aux longs cheveux et aux longs doigts de musicien, qui nourrissait, disait-on, un culte exalté pour le Comte de Chambord et qui avait en permanence un drapeau blanc dans sa chambre à coucher, à la tête de son lit. On y voyait aussi un châtelain des environs, le bon M. Lemasson, qui arrivait dans un vieux coupé démodé conduit par un vieux domestique si comme il faut I et, qui, la main sur le coeur, appelait tout le monde : « mon cher ami, mon bon ami, mon excellent ami », oui, lout le monde, depuis le notaire jusqu'aux hommes d'équipe de la gare. A entendre ces braves gens, je me sentais plein d'amitié pour eux, leurs programmes me paraissaient pavés des meilleures intentions. Mais leurs discussions m'apprenaient trop qu'ils n'étaient pas seuls à vouloir mener le pauvre monde et qu'il fallait compter avec un autre clan, redoutable et déjà quasiment victorieux, et qui ne pouvait être, à mes yeux, que celui des « méchantes gens ». Les conversations de nos amis me révélaient que, parmi ces « méchantes gens », il y avait le boucher de l'endroit, le meunier, le menuisier, le gros fermier du coin, et tous les facteurs et tous les cantonniers du canton. Ces figures brutales ou stupides ne me disaient rien qui vaille, pas plus que les allures du futur député opportuniste, le grand chef qui mobilisait tous ces hommes, un maître de forges du pays, le type du fêtard et du brasseur d'affaires de ce temps-là, gaillard barbu, à cravate à pois, la cravate à pois fait partie de la couleur-locale de 1880, avec une faconde et des élégances de commis-voyageur. En même temps, le naturalisme continuait sa poussée triomphale dans la pensée comme dans la littérature. Tout cela se traduisait par un très sensible relâchement des moeurs jusque |