556 REVUE DES DEUX MONDES. VI. - LE VOYAGE AU LEVANT Au bord du Gange, deux fois les mains de la jeune Indoue ont laissé glisser l'eau sans la pouvoir recueillir. Mais voici que, sur son insistance, l'eau mouvante se solidifie en un globe magnifique qu'elle emportera dans sa maison. Maurice Barrès, au Levant, ne rencontrera plus les résistances de la Grèce et de l'Égypte : l'immobile Orient tiendra dans ses mains nues. Dix ans après le départ pour l'Égypte, il s'embarqua à Marseille sur le Lotus (Pr mai 1914) à destination de la Syrie et de l'Anatolie. De ce dernier voyage aux échelles du Levant, il devait rapporter le Jardin sur l'Oronte et l'Enquête, son dernier livre. Mais il lui fallut attendre près de dix années encore pour rédiger ses notes : la Chronique de la Grande Guerre allait l'absorber tout entier. Dans quel état d'esprit entreprenait-il cette nouvelle expédition ? 11 poursuivait un double but, dont il indique le premier dans sa préface : « J'allais là-bas, plein de curiosités multiples, dispersé entre vingt desseins dont le principal était de me rendre utile à nos maîtres qui y propagent la civilisation de l'Occident, et sitôt que je suis entré dans leurs collèges d'Alexandrie, du Liban, de Damas, de l'Oronte, de Cilicie, d'Anatolie, regorgeant de garçons et de filles aux yeux noirs, l'unité s'est faite en moi, toute puissante et brûlante, autour de cette question : « qu'y a-t-il dans ces âmes que ces missionnaires traitent comme des âmes royales ?... » Et dès lors, son second projet le hante atteindre le foyer des religions, y découvrir « l'étincelle mystique par qui apparaît tout ce qu'il y a de religieux, de poétique et d'inventif dans le monde. » Cette étincelle, en Orient, couve, court, éclate, s'éteint, reparaît, devient incendie et laisse bientôt d'immenses ruines. Elle n'a été captée que dans la lampe du Sanctuaire. Barrès l'a cherchée parmi les bacchantes du fleuve Adonis, chez Hendiyé, la religieuse du Liban, à Konia, chez les derviches tourneurs, héritiers de Djelal-eddin, le poète du Mesnevi, surtout dans les monts Ansarieh,'aux châteaux des Hashâshins. Une lettre de M. Marteaux, qui dirigeait en 1914 les chemins de fer syriens, à Mme Barrès, datée de Beyrouth, 2'l février 1924, montre le voyageur impatient de ce dernier pèlerinage dès son débarque- |