482 REVUE DES DEUX MONDES. ma mère soupirait tant parmi les boues de Spincourt. Il faut avouer d'ailleurs que c'étaituii fort beau pavé, large, poli, point trop fatigant pour les pieds, enfin très supérieur à ces af Jux petits pavés en tête de chat, qu'on trouve encore dans les villes du Midi. Le revers de la médaille, c'est que cette ville si bien pavée n'avait pas d'égouts. Des caniveaux stagnaient le long des maisons. Et, au beau milieu. de la grande rue en pente, qui relie la ville haute à la ville basse, s'étalait un ruisseau pestilentiel, sans cesse entretenu par les ordures ménagères. Passé neuf heures du soir, il ne faisait pas bon s'y promener. Des persiennes s'entr'ouvraient discrètement, et, d'un geste furtif, des mains pâles, emmanchées à des bras invisibles, balançaient dans la direction du ruisseau'des urnes pleines d'inquiétants parfums. C'était tout à fait avine siècle : la rue elle-même, où ne passait jamais de voiture, cette rue dépourvue de trottoirs et bordée de quelques belles maisons bourgeoises, rappelait fort les estampes de ce temps-là Mais je ne remarquais rien de ces imperfections. J'étais à la ville et cela comblait tous mes désirs. Ce qui m'en donnait une nouvelle preuve, c'était secondement les réverbères, raffinement inconnu dans nos campagnes. Les réverbères (le Briey faisaient mon admiration. Ils rappelaient, eux aussi, ceux du XVIIIe siècle et ils devaient être fort antiques. Je me suis laissé conter que la municipalité les avait rachetés à celle de Metz, après l'introduction en cette ville de l'éclairage au gaz. Tels quels, ils existaient encore vers 1880. C'étaient de modestes lumignons à l'huile, munis d'un réflecteur et abrités dans de grosses lanternes carrées à chapeau de fer-blanc, qui pendaient au bout d'une potence de bois et qu'on manoeuvrait à l'aide d'une corde. De mon temps, on ne les allumait qu'en hiver, et encore par les nuits sans lune. Le lendemain, dans la matinée, Évrard, le sacristain, les nettoyait et leur prodiguait ses soins. Palpitants d'une respectueuse curiosité, nous assistions, tous les bambins du quartier, à cette opération. Nous ne perdions pas un geste du sacristain, qui commençait par ouvrir, à l'aide d'une clé spéciale, la porte d'une petite armoire fichée dans le mur ou dans le bois de la potence. Cette armoire renfermait l'extrémité de la corde, à quoi pendait la lanterne. L'homme, fort habilement, la décrochait, la faisait filer sur une poulie, - et le majestueux réverbère, qui |