548 REVUE DES DEUX MONDES. méditation, sont pareils à des bouquets stérilisés. La couleur leur est demeurée, mais on n'ose s'en approcher pour les respirer. Ou plutôt on croirait des strophes jaillies d'un seul jet, et qui devaient trouver leur place dans le poème, tant leur rythme est déjà cadencé. Mais le poème a été abandonné. Une courte préface essaie par avarice de diminuer le projet : « Je m'embarque pour l'Égypte avec un étrange mal sur les yeux. Je ne puis rien lire, à peine supporter l'effort de crayonner ces lignes'que l'on recopiera. Mon récit sera donc court et sans aucun pédantisme, puisque je suis incapable de fixer mon regard cinq minutes sur aucun imprimé... On ne trouvera donc ici que mes sensations propres devant les choses, mes sensations méditées et cadencées loin de toute influence livresque. » Mais lui demandait-on autre chose ? A quoi bon s'encombrer d'une bibliothèque ? Chateaubriand avait désiré de tout lire avant d'écrire l'Itinéraire. On n'aborde pas l'Égypte de plain-pied : voilà ce qu'il s'objecte à lui-même. Et puis le ton s'élève d'un coup d'aile : « Je peux m'accorder avec le constructeur de la pyramide : il est un chef qui descend vers la mort et va retrouver ses dieux et toutes ses richesses. Et moi aussi dans la mort je veux m'entourer de mes biens. » Poésie, religion, ses seules amours. Sait-il de l'Égypte plus qu'en savent les écoliers ? Les Pharaons, l'histoire de Joseph, celle de Cléopâtre, quelques belles images. Et cependant, qu'il est impatient d'entendre l'appel de ces dieux inconnus ! « Que diront-ils à mon imagination, à mon sentiment moral ? Vont-ils réveiller de si loin en moi quelque profonde poésie religieuse ? » Et, se répondant à lui-même, il fixe le but de son voyage qui, cette fois encore, vise les autels. « Non, je suis incapable de m'amuser avec des objets. Quel est exactement le plaisir que je viens demander à la vieille Égypte ? Qu'elle défriche en moi des parties de l'âme, qu'elle éveille, cultive, fasse lever et fleurir certains de mes sentiments profonds qu'aucune expérience encore n'avait su réellement émouvoir. Des deux rives du Nil, comme une musique incessamment reprise, une longue suite d'images saisissantes, abondantes va m'ébranler, pour qu'au terme de cette voie royale je sois plus sonore, plus chargé, plus profondément réveillé. Il faut qu'en moi se ranime une Égypte que les âges superposés me cachaient. Les deux rives du Nil vont me dire leurs appels et j'écouterai doucement sans me |