544 REVUE DES DEUX MONDES.composé d'avance une Athènes à son image qu'il avait réalisée. Mais il y était préparé. Petit garçon, l'Odyssée était déjà sa passion. « Dessiné par Homère, son jeune univers se parait de divinités inégales, mais uniques de force, de vague rêve et de volupté (1). » D'où vient donc que la Grèce fut pour Barrès une de ces beautés froides qui n'éveillent pas le désir, peutêtre parce qu'il n'y a pas sur toute leur chair cette petite imperfection où notre tendresse s'attache, rapprochée par un attrait plus humain ? Elle lui apparut couchée au tombeau depuis deux mille ans et toute recouverte par le christianisme. A Domrémy, à Lourdes, il entendait si aisément les voix de Jeanne et de Bernadette. « Grattez la terre, dit la Vierge à la bergère, il en. sortira une source ; mangez de cette herbe et l'on bâtira ici une église où l'on viendra de tout l'univers (2) ». Il aurait voulu voir les eaux jaillir et les temples s'élever, ou tout au moins, à l'Acropole, il aurait voulu « comprendre le sentiment religieux de ceux qui venaient prier dans ces pierres (3). » Mais quoi 1 la Grèce lui apparut « comme un sublime opéra qui s'est tu, comme une scène désertée où gisent épars tous les instruments de l'orchestre (1) ». Il ne trouve rien « où se prendre, rien qu'une poussière de collège (5) » et c'est ne rien rapporter, si l'on ne rapporte pas l'essentiel. Trop de littérature aussi a déformé la vie antique. N'a-t-il pas amené de Paris les ombres de Chateaubriand et de Byron, de Goethe et de Renan ? Il a l'impression de marcher dans leurs pas. Comme il leur préférerait la parole d'un vivant 1 L'Arménien Tigrane, qu'il sait mieux faire de la poésie avec la réalité, quand il lui parle de sa patrie lointaine et menacée 1 Avec lui, il rêve « auprès des jets d'eau des cours intérieures d'Asie. » Tandis que le Parthénon n'éveille pas en lui de musique, ou du moins pas cette « musique indéfinie comme fait, par exemple, un Pascal (6). » Sparte lui plaît davantage, parce qu'il lui découvre un paysage de magnanimité. « Là, de colline en colline, comme de strophe en strophe, chante le poème d'un noble sang disparu. » Au fond, ce qui le contrarie (1) Article de Barrès sur le livre de Maurras, Anthinea, d'Athènes d Florence (Gaulois du 11 novembre 1902). (2) Lettre à M. Beaunier sur le Sourire d'Athéna. (3) Ibid. (4) Ibid. — (5) Ibid. — (6) Le voyage de Sparte. |