524 REVUE DES DEUX MONDES. filet d'eau légère, et cristalline. d'une saveur et d'une fur exquises en été- Elle sourd d'une grotte minuscule creusee dans le talus qui domine la rivière, et, se frayant un chemin sinueux, à travers des cailloux, elle se perd dans l'onde du Wagot, comme dans un océan en miniature. De mon temps, au-dessus de la Fontaine, sur les pentes douces du talus, on avait pratiqué des gradins en hémicycle, garnis de mousse et, je crois bien, munis de dossiers. Et, de chaque côté, sous le couvert des hêtres et des frênes, s'éparpillaient des tables et des bancs faits de branchages entrelacés. Quand on était là, assis sur les gradins moussus, on avait à ses pieds le lit de la rivière, qui coule paresseusement sous des ramures traînantes et des fourrés de feuillages troués de taches lumineuses. D'un vol fou, des libellules la traversent dans un rayon de soleil, et perpétuellement des araignées d'eau patinent sur le miroir liquide. En face, par une brèche ouverte dans le mur végétal et transparent, on aperçoit un coin de prairie et, dans le lointain, un moulin adossé à une autre colline boisée, le moulin cher aux paysagistes du XVIIIe siècle, avec ses vannes et sa roue à. palettes. Et, de toutes parts, le déferlement de la forêt, l'armée immobile des grands arbres, qui vous pressent du dense foisonnement de leurs fûts et qui s'arrêtent juste à quelques pas de vous, pour former, au-dessus de la clairière à la pénombre glauque comme les profondeurs sous-marines, de formidables croisées d'ogives. Tel était le cadre, à la fois aimable et grandiose, de la plupart de nos parties de bois et de nos après-dînées dansantes. Ces sauteries en forêt, ces « bals de la Loge », comme on disait, j'y ai assisté avec un intérêt passionné. Certes je n'ai jamais été un mondain, mais j'ai toujours eu un goût très vif du plaisir et de la vie en décor. Ces innocentes réunions bourgeoises nie donnaient un extraordinaire appétit de fètes et de somptuosités. Les toilettes féminines m'enfiévraient. Huit jours d'avance, j'admirais les préparatifs de mes cousines. C'était l'époque des doubles-jupes et des poufs, en attendant l'avènement très prochain des robes-princesses et des éventails suspendus à la ceinture par une chaînette ou un ruban. La suprême élégance, quand on valsait, c'était de faire papillonner, autour de soi, l'éventail captif, dans le tournoiement de la danse. Tandis que les deux violons et la clarinette de l'orchestre mar- |