REVUE DES DEUX MONDES. à former ce que nous appelons une « loge », un berceau ou un cabinet de verdure, arrondi comme une rotonde et couvert d'une voûte de feuillage. Il suffit d'entourer cette rotonde d'une margelle en pierres sèches, qui dessine comme la vasque d'un bassin, d'en égaliser le sol, de planter tout autour des tables et des bancs faits de fascines et de branchages. Et voilà une salie de bal improvisée, avec ses banquettes et son buffet. Depuis des siècles sans doute, la jeunesse de l'endroit avait coutume de danser le dimanche, à la « Loge ». Au vrai, il existait plusieurs Loges, mais on appelait de ce nom la plus grande et la mieux aménagée, et le bois tout entier s'appelait la Loge. Danser à la Loge, c'était danser en forêt. Vieille tradition, à qui les jeunes bourgeois de'1875 avaient donné un développement et un prestige extraordinaires. La Loge, ordonnée et entretenue par les soins d'un aimable administrateur, était devenue un lieu infiniment distingué, le rendez-vous du beau monde, qui, peu à peu, entraîné et séduit par tant d'agréments et de commodités, avait pris possession de la forêt tout entière. Partout où se rencontraient une clairière et un bouquet de hêtres propices, des bancs rustiques, avec une table pour les boîtes à ouvrages, ou pour les dînettes champêtres, étaient adossés aux fûts des beaux arbres, dont l'écorce portait,c.à et là, des chiffres amoureusement enlacés. Les gens de Briey, « la société », comme on disait, avait là ses salons d'été, ses boudoirs et ses cabinets de verdure, tout cela, encore une fois, resté très proche de la nature, très simple, voire un peu rude, mais charmant. Ces lieux discrets étaient bien connus et vantés dans toute la région. Chacun avait son nom. Outre le Banc-Joux, rendu célèbre par des amours séniles autant que romantiques, on visitait le Banc-Isabelle (que l'Inspecteur avait baptisé galamment du nom de sa fille), puis le Banc de la Fosse au\Clenches, les Trois Bancs, les Bancs de la Belle-Fontaine... J'ai oublié les autres, sans doute de moindre importance. La Fosse aux Clenches demeure dans mon souvenir comme un lieu à la fois fascinant et un peu terrible, vaguement entaché de sorcellerie et plein de maléfices. C'est un grand trou vaseux, que forme la rivière, à l'endroit où la forêt, qui dévale des hauteurs de la vallée, s'arrête juste au bord de l'eau. Un r'h4ne énorme trempe ses racines dans l'eau trouble et lourde, d'un vert laiteux, où flottent de gros nénuphars blancs cernés |