520 EVUE DES DEUX MONDES. bière et de sirop da groseille, on traitait magnifiquement u ?'c quarantaine (-l'invités. Le lendemain, les visiteurs rie ma grand mère disaient d'un air pénétré : Hier, MadameX... a donné sa partie de boisl... Pensez ! il a fallu deux voitures pour transporter les victuailles ! D'habitude, les voitures servaient pour la vaisselle et la mangeaille. On se rendait pédestrement à ces simples festins. On s'asseyait sur l'herbe pour le déjeuner ou le goûter, et, sitôt les nappes et les serviettes repliées, on faisait avancer les violons, et l'on dansait en forêt jusqu'à la tombée de la nuit. D'autres fois, mais plus rarement, on partait, dans des breaks de louage, ou dans les chariots rustiques des fermiers, pour un village des bords de l'Orne, Moineville, Jceuf, ou Haumécourt. On s'attablait dans la grande salle de l'auberge, au bord de l'eau. On mangeait les fritures de goujon, les carpes et les brochets de la rivière. Après quoi, on se mettait à danser sur le plancher raboteux de la salle ou l'aire en terre battue d'une grange. On dansait à s'en rendre malade. La danse devenait une frénésie pour cette jeunesse. On appelait ces divertissements des « sauteries » : le mot était alors dans toute sa fraîcheur, comme la « gigue » et la « coiffure à la chien ». Ces modes, importées de la ville, de Nancy ou de Paris, effarouchaient quelque peu les mères et les aïeules. L'aréopage des dévotes en jugeait sévèrement. Mais la gigue semblait quelque chose de si original et de si drôle ! Et puis, quoi ? On pardonnait tout à cette jeunesse qui serait, disait-on, celle de la Revanche et qui faisait son entrée dans le siècle sur un rythme belliqueux et conquérant... Dans cet amour pour la danse, elle avait d'ailleurs une autre complice que l'indulgence et la vanité des mères, une complice, à l'invitation muette de laquelle il était bien difficile de résister : la forêt, avec ses hautes voûtes de verdures, ses clairières moussues aux éclairages de rêve et aux senteurs grisantes, la forêt qui offrait une salle de bal toute préparée. ** La forêt est à peu près l'unique poésie de notre pays. Aussi tous nos écrivains l'ont-ils chantée, sauf peut-être Barrès : ce qui semblera sans doute étrange. Mais il était d'une région |