51 REVUE DES DEUX MONDES. brasserie, pourtant chargée de souvenirs, ne disait rien à mon esprit ni à mon coeur, je n'y v oyais l'emploi d'aucune de mes aptitudes. Mes plus intimes désirs recommençaient inconsciemment à se tourner ailleurs. Ce vers quoi je tendais, j'avais l'intuition très nette que mon collège devait m'y conduire. Et voici que des bruits sinistres circulaient au sujet de cette institution déplorablement cléricale. Les ennemis de l'abbé affirmaient qu'il serait obligé de fermer sa maison, à la rentrée prochaine. J'en fus consterné. Qu'allais-je devenir, si c'était vrai ? Il faudrait partir encore une fois, quitter mes chères tantes et ma bonne grand mère pour un lycée lointain, dont je m'épouvantais comme d'une caserne ou d'un bagne. Et même ce lycée, détesté d'avance, mes parents auraient-ils le moyen de m'y faire entrer ? Je savais notre gêne domestique et cf. qu'allait coûter la remise à flot d'une usine arriérée et désachalandée... Ah ! pourquoi Monsieur le Baron n'avait-il pas été élu ? Il aurait fait obtenir à l'abbé la subvention dont il avait absolument besoin pour son collège, et j'aurais été sauvé !... De plus en plus, je pressentais que le nouvel ordre de choses devait m'être fatal. Mais cette impression désagréable était chassée par d'autres qui flattaient et qui développaient, en moi, des instincts de plaisir et de liberté encore endormis.l,fes plates années Quatre-vingts, — celles où l'esprit de la France a été le plus bas, allaient commencer. L'opportunisme était en fleur et, avec lui, le naturalisme. Partout, un débridement cynique des moeurs, une poussée de dévergondage et de grossiers appétits. Le débraillé, la brutalité toute crue, se propageaient, par la littérature et la presse, jusque dans les plus honnêtes maisons. Certes, ces abominations ne me touchaient pas encore. Mais je constatais, autour de moi, même chez les tenants de la bonne cause, une effervescence toute nouvelle, un besoin de jeter sa gourme, de se donner de l'air, fût-ce pour respirer les pires miasmes. Et j'avoue que ce décarêmage n'était point pour me déplaire. De tout mon coeur, j'aimais la liberté. C'est la seule de mes illusions de jeunesse à laquelle je sois resté fidèle. ***, L'austère Briey ne pouvait rest#r à l'abri de ce mauvais vent qui soufflait sur tout le reste du pays. En tout cas, ceux de nos |