514 REVUE DES DEUX MONDES. épousée par amour. Cette généreuse créature venait, je crois, de Volmunster, à moins que ce ne fût de Koenigsmacker. Brune comme une Andalouse, la bouche charnue et légèrement ombrée de duvet, aimant à se montrer dans des robes de barège jaune, à volants, elle évoquait à mon imagination les tartes juteuses et un peu lourdes de son pays, ces savoureuses tartes aux quètsches, toutes noires sous une fine couche de sucre en poudre, dans leur bordure de pâte croustillante et dorée. Cette dame Saintignon (ainsi s'appelait-elle) semblait être, elle aussi, tout sucre et tout jus. Adorant le plaisir et la bonne chère, cette belle personne vivait en pleine idylle avec son époux. Elle mettait dans la frugalité et l'austérité briotines comme une note de sensualité et de sentimentalité allemandes, — l'Allemagne de Gessner et des bergeries. Tout l'été, elle le passait, avec son mari, dans un kiosque champêtre, à la lisière du bois. Là, ils coulaient apparemment des jours heureux, à s'adorer, à tripoter la terre de leurs plates-bandes, à pêcher dans la petite rivière, qui serpentait nonchalamment sous leur terrasse. Ah 1 ceux-là n'avaient pas peur de faire fumer leur cheminée I... Des fenêtres de mes tantes, on distinguait très bien le tuyau de poêle du kiosque, toujours couronné d'un joli nuage de fumée blonde. Et mes tantes, en l'apercevant, ne manquaient jamais de dire : —Ah ! voilà les Saintignon qui préparent leur « frischtick I.. » Pour elles, comme pour tous les gens de Briey, le couple gourmand se livrait à une bombance perpétuelle. Le soir, ils rentraient à pied de leur jardin, lui traînant son ventre et soufflant beaucoup, elle les yeux en fête et la bouche épanouie comme toujours, serrant entre ses bras un gros bouquet de fleurs des champs, qui lui cachait presque toute la poitrine... *** Jusque-là allaient les débauches de ces braves gens. Ils savaient se contenter de peu. Ce milieu de Briey, comme celui de Spincourt, pouvait compter comme vraiment exemplaire. On pouvait même trouver que la discipline morale y avait quelque chose d'excessif, de vraiment trop rigoureux. Aussi les scandales étaient-ils rares. Le curé, les religieuses, appuyés de tout un groupe de dévotes, exerçaient sur les moeurs une surveillance sévère. Cette surveillance traditionnelle passait pour |